Bonjour,

Sur l'année écoulée j'ai suivi un cours de composition de musiques de films à l'école ARPEJ (école de jazz parisienne) avec comme formateur Jean Gobinet ( "arrangeur" sur L'auberge Rouge, The Artists, entre autres). L'année se conclut normalement par un projet enregistré avec des vrais musiciens en studio (enregistrement au déchiffrage, comme c'est la norme en musique de film).
Il se trouve que c'était les 40 ans de l'école et que, parmi les nombreuses manifestations organisées à cette occasion, il a été décidé en fin d'année que le studio serait remplacé par un ciné-concert où les compositeurs dirigeraient leur propre musique en public. De plus, Jean a réussi cette année à lancer une coopération avec le département animation de l'ESRA (école de cinéma). Nous avons été la première promo à travailler sur des "vrais" courts métrages et non des extraits de films existants.
En cette rentrée, j'ai eu l'agréable surprise de constater sur le site de l'école que le court métrage dont j'avais écrit la BO était rendu public et je vous le partage car cette musique doit beaucoup à Polyphonies.
https://www.youtube.com/watch?v=hTVD5gn5YAw
Je "bénis" régulièrement Polyphonies pour m'avoir appris à développer un thème, à le ré-utiliser à travers tout un tas de variations différentes. Ici, la formation reçue à Polyphonies m'a aussi permis d'aller puiser dans un registre musical que je ne pensais pas utiliser pour un film: la musique sérielle.
Quoi de plus approprié pour la scène de panique initiale ou celle de folie? Même la mélodie plaintive de l'alto provient de la série. Les ficelles du passage onirique (gamme par ton) ont été tellement usées par les films fantastiques qu'on en oublie l'origine chez Debussy.
Je ne crois pas non plus que j'aurais su trouver le reste sans la culture musicale que les cours de Jean-Luc m'ont permis d'étoffer, même indirectement, en allant chercher autour de ce que nous devions étudier (ici, Lohengrin).

Je trouve aussi intéressant de vous partager mon expérience de confrontation au réel en tant que compositeur de musique de film.
On a dû nous distribuer les courts-métrages en avril. Seule consigne: écrire pour un quatuor à corde plus contrebasse (un seul musicien par pupitre), une flûte (piccolo sans doute possible), une clarinette (clarinette basse, peut-être), trompette, cor, trombone et percussions (jouables par un seul percussionniste).
Validation de nos maquettes sur ordinateur début mai. On s'attaque à produire des partitions individuelles jouables sans explication. Là on apprend que ça va être un ciné concert. Du coup il y aura une répétition avant, et les contraintes de salle comme d'agenda changent la donne:
Pas trouvé de cor ni de trombone; pas grave il y aura un sax alto et un sax ténor.
On ne pourra pas avoir plus sur scène qu'une batterie avec un complément de percussions "légères" (cloche, wood block, triangle, paire de cymbales, etc.).
- Mais j'ai écrit une partie de timbales importante.
- tu remplaces par une doublure tom / clarinette basse.
- Mais la clarinette joue déjà à ces moment-là.
- tu trouves autre chose. Ah, et vous avez en plus un piano!
- Mais je n'ai pas de piano dans ma musique.
- Eh bien maintenant tu en as un. Si la prod te dit la veille de l'enregistrement que tu as un piano, tu arrives en studio avec une partie de piano. C'est ton boulot de compositeur/arrangeur/orchestrateur
...
C'est comme ça, en particulier, que la sirène d'alarme du début, répartie initialement entre trilles de piccolo et trilles de clarinette, s'est transformée en trilles de piccolo et trémolos d'octave de piano. Pour le reste j'ai utilisé le piano comme percussion sur tous les coups d'orchestre et comme "reverb" sur les tenues grâce à sa pédale.

Comme évidemment j'ai écrit une pièce pleine de changements de métrique, j'ai passé beaucoup de temps à ajouter (et à choisir d'abord) des "à défaut" pour que les musiciens s'y retrouvent.

Une semaine avant la répétition:
- Bon, le sax alto, c'est en fait la clarinette / clarinette basse qui en joue. Vous aurez un sax bar en plus du ténor.
Plus qu'à changer les transpositions des parties de sax. Heureusement que je n'ai pas écrit une partie de cor stratosphérique.

Répétition calamiteuse: j'avais vaguement dirigé des copains sur mes arrangements il y a 40 ans, mais jamais avec une oreillette pour me donner le clic (partie métronome de ma maquette). C'est très perturbant. Le percu est le seul à avoir aussi une oreillette. Au moins il m'aide bien, mais dans les fortissimo je n'entends plus le clic et je décale.
Je décide à l'issue de diriger par coeur car je n'arrive pas à gérer les tournes en plus du reste.

Concert: ça part bien. Mais lorsque je lui fais signe pour son second appel, la trompette ne part pas. Ca je peux gérer. Mais il décide de jouer son solo une mesure plus tard. Sur le moment je suis totalement déstabilisé. Je ne sais plus si c'est lui ou moi qui suis à côté. Je me cale sur lui et, en levant le nez pour voir l'écran, je constate que nous avons une mesure de retard. Grand moment de solitude. Pour l'instant le tempo est constant. Mais déjà un changement de métrique et le premier temps du clic devient plus perturbant qu'autre chose. Je décide sur le passage de folie d'accélérer ma battue (pas facile avec un métronome dans l'oreille). Le percussionniste me suit. Il prend sur lui de donner au moins le coup de cymbale final de ce passage en regardant l'écran (en se tordant le cou, donc) pour avoir la bonne synchro. Lorsque la musique se calme, je ne ralentis que légèrement par rapport à ce que prévoit la partition pour arriver de nouveau en synchro avec le clic et l'image sur la pédale de contrebasse. Du coup deux points de synchro majeurs sont respectés: l'entrée Lohengrin des cordes et le coup de cuivres/cymbales sur le dénouement tragique.
Ca suffit pour faire son effet sur le public, même si je suis extrêmement frustré par ma piètre prestation.

Un ingénieur du son avait fait la captation. J'ai récupéré les voix de chaque micro et j'ai cherché comment resynchroniser la musique. Ce que vous entendez sur le lien YouTube est un mix ordinateur / vrais musiciens. Jusqu'à la découverte du monolithe, ce sont les vrais. J'ai juste coupé la mesure de trop entre les deux appels de trompette et rajouté le triangle que le percussionniste n'avait pas eu le temps de jouer en venant de la caisse claire. J'ai aussi doublé la voix du magnifique chime qu'il m'avait trouvé mais qui était un peu faible dans le micro. Sur le crescendo coup d'orchestre l'ordinateur renforce les musiciens et prend seul ma BO jusqu'à la fin du passage de folie, lorsque les pieds du personnage touchent le sol. On entend une attaque de contrebasse lorsque le vrai musicien prend la relève. Lohengrin, Purcell et le générique de fin sont de la musique bio :-) .
Finalement ce travail de mixage m'a réconcilié avec ma prestation. Je suis même surpris d'avoir réussi à fusionner aussi bien ordinateur et captation audio (tous vont dans la même réverb). La remarque du prof qui m'a fait le plus plaisir, après que je lui ai expliqué mon travail de post-prod : "il me semblait bien que les musiciens n'avaient pas été aussi précis dans leurs attaques".

Voilà. Je ne sais pas si j'aurai l'occasion de revivre pareille expérience.
En tous cas, je ne me serais jamais risqué à mettre les pieds là-dedans sans le bagage musical accumulé avec Jean-Luc.

Olivier