Le blog de Polyphonies, école à distance d’écriture musicale et de composition.

... Sur Rabii ZAMMOURI

dans Focus

Etre compositeur, arrangeur, directeur artistique (vidéo) et producteur exécutif (vidéo-clip) sur le plateau d’enregistrement de votre propre pièce, n’est pas de tout repos : Rabii Zammouri a relevé le défi avec succès, et j’en ai profité pour lui poser quelques questions autour de cette création produite par le ministère de la culture tunisien durant l’été 2016. Le projet, un chant patriotique intitulé "Hymne aux héros de la Tunisie" a représenté des mois de travail intense pour Rabii, votre confère à Polyphonies. Il s’agit d’un hommage aux résistants, en particulier aux forces de la sûreté nationale, contre les groupuscules extrémistes qui menacent la révolution issue du Printemps arabe, en Tunisie comme ailleurs...

Bonjour Rabii, nous sommes très heureux du succès que votre travail a remporté sur ce projet important, et bien-sûr, il me donne l’occasion de vous interroger pour en savoir un peu plus sur vous-même, et sur le paysage musical en Tunisie. Pour commencer, quelle était la proposition initiale du ministère tunisien de la culture ? Quel choix avez-vous fait pour y répondre ?

Depuis la révolution [1], les forces sécuritaires et militaires tunisiennes ont été la cible d’attaques terroristes successives, alors qu’elles étaient dans l’exercice de leur devoir. Grâce à tous ces hommes héroïques qui ont risqué et risquent encore leur vie pour défendre la Patrie, la Tunisie montre une forte résistance à l’obscurantisme. Le peuple tunisien veut vivre, dans la stabilité et veut garder espoir dans l’avenir. L’idée de créer l’Hymne aux héros de la Tunisie est née lors de rencontres avec un ami, écrivain et poète : Ali Louati, où nous avons convenu de composer un chant en hommage à ces héros. L’idée a rapidement pris la forme d’un projet ; nous nous sommes mis à l’œuvre, affinant et modelant l’idée initiale, pour aboutir finalement à une maquette audio. Dans la perspective de donner au projet une bonne facture artistique et une audience la plus large possible, j’ai demandé au Ministère de la Culture une aide, au nom de ma société RZ Productions, qui m’a permis de réaliser un enregistrement audio professionnel (en studio), ainsi qu’un vidéoclip. Ayant approuvé le projet, le Ministère a apporté un appui décisif à sa réalisation. Ainsi, il a été possible de mener à bien l’enregistrement audio avec la participation d’une pléiade de musiciens, de chanteurs et de solistes (Lotfi Bouchnak ; Asma Ben Ahmed ; Nour al-Qamar). Le vidéoclip dont la réalisation a été confiée à Zied Litaiem, a réuni techniciens, musiciens, choristes, danseurs, avec une large participation d’éléments de l’armée, de la sûreté nationale, de la douane et d’autres corps.

Comment avez-vous travaillé avec les musiciens ? Quel service deviez-vous fournir : la partition seule ? La direction de chœur/orchestre ? Ou autre chose également ?

Précisons, d’abord, que je suis un musicien de studio, je compose en utilisant des programmes informatiques dédiés à la composition et l’arrangement à savoir Cubase, Protools et Sibelius pour l’édition et parfois pour l’écriture. Par la suite, je donne les partitions aux musiciens pour exécution en studio d’enregistrement. Toutes les œuvres musicales et même celles qui sont orchestrales sont toujours enregistrées section par section, vu qu’il n’existe pas en Tunisie de grands studios pouvant contenir un grand orchestre.

Rabii Zammouri sur le tournage du clip "Hymne Aux Héros de la Tunisie"J’ai eu la chance, avec le projet Hymne aux héros de la Tunisie de travailler avec de talentueux musiciens de l’orchestre national tunisien (section cordes) et des musiciens de l’orchestre symphonique de la radio Ukrainienne (section vents et cuivres), la chorale a été formée par d’excellents interprètes diplômés en chant lyrique de l’ISM, les solos ont été interprétés par le chanteur Lotfi Bouchnak, La chanteuse Asma Ben Ahmed et la jeune Nour al-Qamar.

Justement, comment s’est passée l’intégration du chant traditionnel dans une écriture classique ?

Dans Hymne aux héros de la Tunisie la mélodie des solos est composée dans une facture occidentale sobre, sans fioritures, un peu à l’occidentale, mais le style du poème en arabe littéraire m’a suggéré de donner à cette mélodie, en gamme homonyme, une coloration qui s’allie avec le chant arabe modal classique. Le choix des interprètes rompus à l’esthétique de ce chant a contribué à mon avis à ancrer cette œuvre dans notre tradition.

Et quelles sont vos recherches personnelles en écriture ?

J’ai eu toujours tendance à travailler sur l’image ; mes premières recherches précédaient mon entrée à l’ISM (Institut Supérieur de Musique). J’étais fasciné par les musiques de films et ce dès mon jeune âge. Je sens que toute musique pour avoir un sens, ne manque pas de nous suggérer des images. D’ailleurs la relation musique image est un débat qui occupe les spécialistes de la musique arabe contemporaine, vivant actuellement un va et vient entre la notion de tarab (émotion générée par la mélodie) et l’expressionnisme.

Dans mon enfance je me souviens qu’on passait assez souvent à la télé de la musique classique occidentale avant le début des programmes. Dans mon esprit j’associais ces musiques à une foule d’images qui peuplaient, alors, mon imaginaire d’enfant. Je me souviens aussi de mon émerveillement en écoutant les musiques de films tel que celle de "West side story" par Léonard Bernstein, "Il était une fois dans l’Ouest" par Ennio Morricone, "Le Message" par Maurice Jarre, qui a alors changé ma conception de la fonction de la musique.

Quel est le paysage musical, plus précisément concernant la composition, à l’heure actuelle en Tunisie ?

Comme partout dans le monde, les formes d’expression musicale en Tunisie n’ont cessé d’évoluer en raison de l’accroissement des nouvelles technologies notamment la MAO. Des musiques telles que le Hip Hop, la musique alternative, l’EDM sont devenues plus répandues. L’essor de ces pratiques musicales, dans les dernières années, n’est pas seulement le résultat de l’évolution des technologies et du multimédia, mais aussi, et surtout, des changements politico-sociaux dus à la révolution du 17 décembre 2010. Ces nouvelles cultures musicales étaient en même temps les vecteurs de divers messages politiques. Le rôle politico-social qu’ont joué ces musiques leur a donné une certaine domination sur les musiques traditionnelles, notamment la musique classique tunisienne (malouf) et la musique de variété elle-même n’a pas échappé à cette domination et voit rétrécir son marché comme une peau de chagrin.

Bien que la musique populaire traditionnelle dite Mezoued, utilisant cornemuse et percussions, garde toujours sa vitalité et son succès auprès d’un public assez large, je crois que la musique tunisienne se ressent toujours de l’absence de stratégies susceptibles de la promouvoir et ce depuis l’époque de la dictature qui ne faisait qu’instrumentaliser la culture pour conforter son pouvoir.

D’un autre côté, l’absence d’un statut juridique pour l’artiste, l’inapplication ou la mauvaise application des lois relatives aux droits d’auteurs, ainsi que l’absence d’institutions enseignant l’écriture musicale, ont été la cause d’une faiblesse de la créativité notamment en matière de composition, qui chez nous et dans le monde arabe, signifie essentiellement écriture monodique et modale, avec parfois des essais d’arrangements polyphoniques, appliqués à des pièces du répertoire classique et ethnique tunisiens. Il existe aussi des essais expérimentaux, en milieu universitaire intégrant des éléments issus de cultures musicales étrangères (jazz ; funk ; musique africaine ; etc.).

Vivre de la composition et même de l’art musical en général n’est pas facile en Tunisie, en absence d’un statut de l’artiste et d’un vrai cadre juridique qui organise les métiers de la musique. On dit que le ministère de la culture y travaille depuis quelques années, donc attendons !

Merci Rabii pour cet entretien. Au plaisir de vous retrouver sur de nouveaux projets musicaux !

Notes

[1] Il s’agit de la révolution Tunisienne de 2010-2011, qui a abouti au départ du président Ben Ali, en poste depuis 1987

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Joëlle KUCZYNSKI
Responsable administration de l’école à distance POLYPHONIES. Conception et réalisation des supports formation. Responsable rédaction du Mensuel. Chanteuse.
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