Chers amis polyphoniens, cette nouvelle rubrique démarre avec l’instrument le plus vendu au monde mais paradoxalement le plus méprisé : l’harmonica diatonique, de 10 cm x 2,7 cm, n’est généralement pas considéré comme un instrument « sérieux ». Les enfants peuvent se l’approprier facilement, puisque l’on peut improviser des morceaux simples en soufflant ou en aspirant n’importe où… lire la suite
Il est vrai que, pour sortir le son d’une clarinette, c’est plus difficile, mais ce n’est pas parce qu’un enfant peut s’amuser avec un harmonica que cet instrument se limite à cette seule utilisation spontanée.
Avant de parler technique, je tiens à préciser que je parlerai ici essentiellement de l’harmonica diatonique. Comme son nom l’indique, l’harmonica diatonique en do possède toutes les notes de la gamme majeure de do et, quand on souffle n’importe où dans cet harmonica en jouant plusieurs notes à la fois, on obtient forcément un accord de do majeur.
L’originalité de l’utilisation de l’harmonica diatonique tel qu’on le pratique aujourd’hui est que l’on joue souvent avec un harmonica conçu dans une tonalité alors que le morceau est dans une autre tonalité. Par exemple, les bluesmen aiment jouer en sol sur un harmonica en do, ce qui leur permet d’obtenir un son plus riche. Ce qu’il y a de génial avec cette démarche, c’est que l’on peut jouer de plusieurs harmonicas dans un même morceau et obtenir ainsi des effets et des timbres différents à chaque fois. Par exemple, si je joue un morceau en la mineur, je peux choisir de jouer le thème à la quinte sur un harmonica en ré, puis le solo à la sixte sur un harmonica en do, enfin reprendre le thème à la seconde sur un harmonica en sol.
1 - Jouer des accords simples
L’harmonica dispose de 10 ouvertures et il est assez aisé, en ouvrant suffisamment la bouche, de faire entendre plusieurs notes à la fois. Je vous propose de vous rendre sur mon site afin d’écouter une improvisation où je joue uniquement des accords sur un harmonica en mi bémol grave. J’utilise des techniques syllabiques qui me permettent d’imiter le train à vapeur.
http://harmochopin.com/piano_harmo.html#train
2 - Jouer une mélodie en « notre-à-note »
Bien sûr, on peut jouer les notes les unes après les autres. Il faut pour cela utiliser une embouchure qui nous permette de jouer une seule note sans que l’air ne passe par les ouvertures adjacentes. Vous allez entendre un thème fort connu des harmonicistes de country music : « Bank Of The Ohio » sur un harmonica en do.
3 - Jouer une mélodie en « double-stop »
La même mélodie peut être jouée en prenant une embouchure plus large de manière à souffler ou aspirer dans deux ouvertures à la fois, ce qui produit évidemment deux notes en même temps. Certains harmonicistes appellent cette technique le « jeu en tierces », ce qui est inexact car l’harmonica diatonique traditionnel n’est pas conçu de cette manière. Ainsi, sur l’exemple suivant où je reprends « Bank Of The Ohio », je joue parfois en tierces, parfois en quartes. Vous remarquerez que, sur cet exemple, je ne joue pas la mélodie au soprane mais à l’alto. Autrement dit, au lieu de jouer une note basse en accompagnement de la mélodie, je joue une note plus haute, ce qui me permet en quelque sorte de jouer une variation du thème.
Le son grince un peu, n’est-ce pas ? En fait, cela sonne mieux en complément des accords d’une guitare ou d’un orchestre. Voici donc le même morceau sur un accompagnement digne de ce nom :
http://harmochopin.com/piano_harmo.html#ohio
4 - Jouer en « tongue-slap »
Les effets de langue sont légions avec cet instrument. L’un d’eux, très utilisé en blues, permet de faire sonner un accord puis le soprane en produisant un effet percussif. Si vous prêtez l’oreille, vous entendrez cet effet sur la troisième partie du morceau « O Law Jig » :
http://harmochopin.com/piano_harmo.html#o_law_jig
5 - Jouer en octaves
Un autre effet surprenant est ce que j’appelle l’effet « accordéon » : chaque note, sur un accordéon, est doublée à l’octave et c’est exactement ce que l’on peut faire avec certaines notes de l’harmonica. Me revoici en improvisation avec un harmonica en do :
http://harmochopin.com/piano_harmo.html#accordeon
6 - Les « altérations »
L’harmonica a été inventé par un horloger allemand de Trossingen, Christian Messner, vers 1830, pour jouer de la musique folklorique avec un instrument que l’on pourrait emmener partout avec soi. Vous savez sûrement que les accords les plus utilisés en musique populaire sont les degrés I, IV & V. Eh bien, avec l’harmonica, on peut jouer avec les accords I & V et improviser sur une gamme medium complète et deux autres gammes, une grave & une aiguë, toutes deux incomplètes. En fait, à cette époque, le jeu en accords dans le grave et mélodique dans le medium & l’aigu devait largement suffire…
C’est lorsque les Américains ont imité les sons environnants (trains, chasse au renard…) et qu’ils ont commencé à jouer du blues, entre les années 1850 & 1890, qu’ont été inventées des techniques de jeu considérablement enrichies. En effet, grâce aux bluesmen, on sait désormais jouer des notes qui n’existent pas sur l’instrument !
Pour vous expliquer cela, nous allons parler un peu de technique…
L’harmonica diatonique est composé de deux plaques d’anches métalliques : les « anches soufflées » sur la partie haute de l’instrument, les « anches aspirées » sur la partie basse. Donc, quand on souffle dans le trou numéro 2 d’un harmonica en do, par exemple, l’anche supérieure vibre et l’on entend un mi. Bien. Quand on aspire dans ce même trou, l’anche inférieure vibre et produit un sol. A présent, quand on exerce une pression différente dans la cavité buccale, on « force » les anches à vibrer ensemble et c’est cette conjonction de vibrations qui donne les notes qui ne sont pas prévues à la fabrication de l’instrument. Ainsi, dans notre trou numéro 2, on peut également entendre un fa # et un fa. Si l’on veut, on peut jouer d’autres notes qui ne sont pas exactement situées à un demi-ton ou à un ton du sol et créer des effets de « bend », c’est-à-dire comme lorsque l’on tord une corde de guitare sur le manche en la poussant avec le majeur et l’annulaire.
7- Autres effets
On peut ajouter des effets de mains, de gorge, de langue, de ventre… En voici quelques exemples sur un harmonica en sol, pour changer un peu... Incroyable, tout ce que l’on peut faire avec ce petit instrument, non ?
Tous ! :o) Pour vous donner un échantillon de ce que l’on peut faire, je vous propose d’écouter quelques morceaux… Vous remarquerez toute la palette sonore que l’on peut obtenir avec cet instrument, notamment sur « Moody » où l’on joue de nombreuses altérations qui ont toutes un timbre qui leur est propre. C’est cette palette de couleurs que j’aime faire ressortir, à la manière d’un peintre qui choisit ses plus belles nuances pour représenter un arc-en-ciel… Vous pouvez écouter ces morceaux sur mon site :
http://harmochopin.com/piano_harmo.html#wonderful_world
http://harmochopin.com/piano_harmo.html#o_law_jig
http://harmochopin.com/piano_harmo.html#doublecrossed
http://harmochopin.com/piano_harmo.html#ohio
http://harmochopin.com/piano_harmo.html#moody
http://harmochopin.com/piano_harmo.html#jingle_bells
Il a fallu une vraie dose de courage et de passion à des compositeurs comme Malcolm Arnold (le compositeur de la musique du film « Le Pont de la Rivière Kwaï ») pour écrire des concertos pour harmonica au début du XXème siècle ou encore Darius Milhaud qui composa une « Suite pour harmonica et orchestre ». En effet, dans l’inconscient populaire, cet instrument n’est qu’un jouet et un jouet n’a rien à faire dans un orchestre symphonique, à part toutefois pour interpréter la « Symphonie des Jouets » de Josef Mozart. Lisez un peu la définition que l’on trouvait dans l’édition de 1917 du « Dictionnaire des instruments de musique » de Scharauer qui faisait pourtant autorité dans tous les établissements où l’on enseignait la musique : « L’harmonica est un petit instrument à anches libres inventé vers 1820 par des bricoleurs allemands pour amuser les enfants et le public des cirques. Sa simplicité d’utilisation peut expliquer son étonnant succès commercial. Mais il n’en est pas moins totalement dénué de valeur artistique. La présence de l’harmonica dans ce dictionnaire réservé aux véritables instruments de musique se justifie uniquement par le fait que son principe a été développé pour inventer ensuite l’accordéon, un instrument bien plus complexe qui permet de jouer de vraies mélodies mais dont les sonorités sont si discordantes et si déplaisantes qu’on ne peut un instant penser qu’il ait le moindre avenir dans la bonne musique. »
Certains compositeurs du XXème siècle croyaient qu’il était tellement vain d’interpréter correctement une mélodie qu’ils interdisaient que l’on puisse reprendre des airs « classiques » à l’harmonica ! Igor Stravinsky, par exemple, refusait de laisser l’interprète Tommy Reilly interpréter ses œuvres « au nom de la décence » ; les héritiers de Sergueï Rachmaninov sont allés jusqu’à intenter un procès contre l’harmoniciste Jerry Murad qui désirait enregistrer une version à l’harmonica de « L’histoire des trois amours » ; le pire, dans cette histoire, est qu’ils ont gagné leur procès !
Pas étonnant, avec une telle mentalité, que les musiciens « populaires » aient à leur tour autant négligé l’apport de la « grande musique » ! Ce n’est vraiment qu’avec l’avènement du vaudeville américain, puis du music-hall et enfin de la musique pour l’image que l’harmonica a gagné en reconnaissance auprès de l’ensemble des musiciens classiques.
D – Les grandes innovations
Au tout début, on pouvait jouer 19 notes différentes sur un harmonica diatonique à 10 ouvertures (une note en soufflant, une autre en aspirant, cela fait 20 notes, mais le 3 soufflé produit le même son que le 2 aspiré). Puis arrivent les bluesmen qui, vers la fin du XIXème siècle, sont tous capables d’altérer les notes et d’obtenir ainsi 13 notes supplémentaires ! En fait, 15 notes supplémentaires si l’on considère le quart de ton entre mi et fa et le quart de ton entre si et do qui ne sont pas des « notes à part entière » dans notre culture occidentale mais dont on se sert pour créer des effets. Je vous montre dans cet exemple quelques effets obtenus avec ces quarts de ton.
Puis vient Howard Levy qui invente les « overbends » : dans cette technique, on « force » une des anches à se courber jusqu’à se « bloquer » et faire ainsi déclencher l’anche opposée qui vibre au-delà de ce qu’elle a l’habitude de faire…. Pas très clair, hein ? ;o)
Alors, imaginons que je veuille jouer un « overblow » en 4, c’est-à-dire en « overbend obtenu en soufflant » : je mets beaucoup de pression dans ma bouche afin de faire se rapprocher l’anche soufflée de la plaque sur laquelle elle est fixée, si bien que je ne peux plus obtenir la note soufflée, mais cette pression et ce blocage appuient sur la lame aspirée qui joue un demi-ton au-dessus de sa note naturelle. Ainsi, en « sursoufflant », on fait jouer l’anche aspirée au-delà du son qu’elle produit en aspirant normalement. Voici un exemple d’overblow en 4 sur un harmonica en do et une petite mélodie en do mineur harmonique (ou mélodique d’ailleurs, puisque je ne joue pas le la)
Grâce à cette technique, on peut jouer 7 notes de plus, soit 38 notes sur 10 trous seulement, ce qui fait de l’harmonica diatonique un instrument entièrement chromatique sur plus de 3 octaves complètes, c’est-à-dire en gros une quinte de plus qu’un saxophone ou qu’une trompette !
E – Les grands interprètes
On peut tout d’abord citer l’excellent Charlie McCoy qui a su populariser la country music au-delà de toute espérance, alors que ce genre musical était considéré comme « réservé aux bouseux ». McCoy a accompagné de nombreux artistes tels Roy Orbinson, Elvis Presley, Simon & Garfunkel, Cliff Richard, Johnny Cash, Eddy Mitchell et… Yvette Horner ! La liste n’est bien sûr pas exhaustive.
Le rock’n’roll & la pop furent transformés le jour où l’on entendit le « folkeux » Bob Dylan jouer un style country beaucoup plus « roots » en s’accompagnant à la guitare acoustique ; il suffit pour s’en convaincre d’écouter le célébrissime « Blowin’ In The Wind » écrite en avril 1962 et toujours reprise aujourd’hui par des millions d’harmonicistes de par le Monde. Bob Dylan n’a jamais été un grand technicien de l’harmonica, mais sa manière si caractéristique de jouer a influencé de nombreux artistes dont John Lennon qui jouait de l’harmonica sur plusieurs morceaux des Beatles (« Love Me Do », « Please Please Me », « Little Child »…) mais aussi après la séparation du groupe (comme sur l’excellent « Oh Yoko ! »).
Le plus grand représentant de l’harmonica dans sa diversité est Français ! Oui Monsieur, oui Madame : il s’agit de l’excellentissime Jean-Jacques Milteau. Si je vous dresse la liste de tous les artistes qu’il a accompagnés, nous allons y passer la nuit ! Citons pêle-mêle : Yves Montand, Eddy Mitchell, Renaud, Jean-Jacques Goldman, Maxime Le Forestier, Francis Cabrel, Barbara, Charles Aznavour, Claude Nougaro, Michel Delpech, Florent Pagny et bien sûr son élève Greg Zlap, aujourd’hui harmoniciste officiel de Johnny Hallyday, qui fut mon professeur (Greg Zlap, pas Johnny…).
Toutes les techniques que l’on connaît aujourd’hui permettent à qui les maîtrise suffisamment de jouer des mélodies fabuleuses comme aucun autre instrument ne sait le faire, avec des couleurs et des effets qui ont fait dire un jour à une spectatrice venue écouter Jean-Jacques Milteau que ce qu’elle avait entendu était tellement joli qu’on aurait dit que ce n’était pas de l’harmonica !
L’une des dernières inventions, l’overbending, créée et développée par Howard Levy a permis à de nombreux jazzmen de placer l’harmonica au devant de la scène. Le plus fameux d’entre eux est un autre Français, Sébastien Charlier, dont le jeu est si inventif qu’il serait vain de tenter de le décrire par des mots. Le mieux est encore de savourer son album « Diatonic Revelation ». Sébastien Charlier lui-même est en train de développer une technique qu’il appelle « air-blocking » qui permet d’entendre à la fois des notes soufflées et aspirées et même des notes altérées aspirées et des notes soufflées… L’harmonica diatonique semble ne jamais avoir de limites !
F – Les disques à écouter
Bien sûr, je ne touche rien sur la vente des disques ! Je ne donne ici que quelques idées qui vous permettront de mieux apprécier ce que l’on fait de mieux avec l’harmonica diatonique.
« Merci d’être venus », Jean-Jacques Milteau
« Varsovie », Greg Zlap
« Diatonic Revelation », Sébastien Charlier
« Sanctuary », Charlie Musselwhite
« Blonde On Blonde », Bob Dylan
« Best Of Charlie McCoy », Charlie McCoy (on s’en serait douté…)
« Jazzin’ Around », divers artistes
« Inspiration : 22 Harmonica Performances Selected by J.J. Milteau », divers artistes
G – Liens
http://www.harmochopin.com/piano_harmo.html
http://www.charliemusselwhite.com/