Le blog de Polyphonies, école à distance d’écriture musicale et de composition.

Improvisation et composition musicale (I)

Un ami musicien de jazz m’affirme que la musique classique n’existerait pas sans l’écriture au contraire du jazz qui est une musique improvisée. Cela me semble exagéré car il doit y avoir probablement des relations entre l’écriture et l’improvisation ? Qu’en pensez vous ? Lire la réponse


- Improvisation et composition musicale (I)

- Improvisation et composition musicale (II)

A brûle-pourpoint, je répondrai que le jazz, sous sa forme actuelle, n’existerait pas non plus sans l’écriture. L’harmonie jazz, qui permet l’accompagnement des improvisations, repose entièrement sur l’harmonie classique [1] du début du XXème siècle qui n’existe elle-même que par l’écriture. Sans l’harmonie et donc l’écriture, le jazz en reviendrait à ses racines africaines, très vivantes mais essentiellement mélodiques et rythmiques.

Nous savons qu’à l’origine de l’harmonie, il y a les premières polyphonies écrites par des moines. En évoluant dans le temps et grâce à la technique de l’écriture, l’harmonie que nous connaissons, c’est-à-dire basée sur les accords à trois sons [2], a lentement émergé. Sans ce développement dû à l’écriture, les accords I et V qui structurent tant de musiques jazz et classique, de chansons ou de musiques actuelles, n’existeraient pas [3].

Mais l’écriture n’est pas l’apanage de la musique classique. Un musicien comme Duke Ellington est un véritable compositeur dont personne ne mettra en cause ni le talent ni la technique de l’écriture. La musique de jazz regorge d’ailleurs d’excellents arrangeurs qui savent réellement écrire.

L’opposition entre le jazz, musique improvisée et le classique, musique écrite est un peu surfaite à mon avis car rien dans les langages musicaux classiques, modernes ou contemporains n’empêche l’improvisation. D’ailleurs, de tous temps, nombre de compositeurs de musique dite classique ont été à la fois des instrumentistes et des improvisateurs virtuoses. Leur énumération pourrait être longue, aussi je me contenterai, excusez moi du peu , de ne citer que Bach, Mozart et Chopin.

Réputé comme le meilleur organiste de son temps, Bach avait coutume d’effectuer de brillantes improvisations devant un auditoire de connaisseurs. Il improvisait diverses pièces musicales, de forme complexe comme la fugue ou plus libres telle que la fantaisie. De nombreux témoignages attestent également le talent, l’imagination et la finesse dont faisait preuve Mozart, pianiste virtuose, lorsqu’il improvisait. On rapporte par exemple, qu’après avoir assisté à un concert où avait été jouée l’œuvre d’un de ses contemporains, il s’est mis au pianoforte et a improvisé une pièce musicale dans le style de ce dernier subjuguant totalement son auditoire. Cela fit aussi l’admiration de tous les musiciens présents mais lui attirât par la même occasion l’inimitié du compositeur si brillamment parodié. Chopin, qui était également l’un des plus grands pianiste de son temps, était lui aussi un adepte de l’improvisation. Il y passait régulièrement de longues heures et ceux qui l’ont entendu ont témoigné de la qualité de sa musique et de l’émotion qu’elle suscitait. Pour Chopin, l’improvisation était souvent une source d’inspiration pour élaborer de futures compositions.

Les enregistrements audio n’existaient pas encore à ces différentes époques. Aucune trace sonore de ces moments musicaux ne nous est donc parvenue. De ces compositeurs, seules nous restent les œuvres ayant été inspirées de leurs improvisations.

De nos jours, les compositeurs contemporains perpétuent cette tradition mais bénéficient quant à eux d’enregistrements sonores [4]. Je citerai simplement Thierry Escaich, compositeur contemporain et organiste avec par exemple ses « Trois danses improvisées » ou le « Poème symphonique d’après l’Apocalypse ».

La capacité d’improvisation fait partie de la personnalité musicale des créateurs qui en même temps, sont de bons instrumentistes. Elle n’est l’apanage d’aucun genre ou style musical. Rien n’interdit à priori d’improviser dans n’importe quel langage musical qu’il soit classique, moderne ou contemporain [5]. Ni l’harmonie, ni la mélodie [6] ne peuvent être une barrière à l’improvisation. Toutefois, les formes musicales simples s’y prêtent mieux que les formes plus complexes [7].

Le jazz et la musique classique ne peuvent être opposées dans leur rapport à l’écriture ou l’improvisation. Par contre, une certaine différence réside dans la manière de concevoir la création. Composer ou improviser ne sont pas en effet des approches semblables. Mais nous verrons toutefois qu’il existe néanmoins un certain nombre de passerelles entre ces deux conceptions.

Improvisation et composition : deux approches différentes

La conception de ces deux techniques de création musicale est différente en effet, voire opposée. La première est une musique de l’instant, la seconde est une musique en devenir. Contrairement à l’acte de composer, improviser une pièce musicale ne laisse pas de droit à l’erreur, surtout si un public attentif est présent.

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Jazz au festival de Blues de Cognac 2006

Par définition, une musique improvisée s’élabore au fur et à mesure qu’elle se déroule. Dans cette musique du temps présent, ratures ou retours en arrière n’existent pas et chaque choix musical y est définitif. Le compositeur quant à lui n’a pas de contrainte d’ordre chronologique pour élaborer sa pièce. Il peut tout à fait la commencer par sa fin et n’écrire les premières mesures qu’à l’achèvement de son travail. Il peut également parfaire sa pièce point par point jusqu’au moment où il décide de son aboutissement et de la présenter aux interprètes.

Mais la possibilité de créer des pièces avec des structures et des polyphonies plus abouties est la raison probable de l’attrait des compositeurs pour l’écriture plutôt que pour l’improvisation. Cela dit, des compositeurs contemporains comme Stockhausen ou Lutoslawski ont introduit dans leur oeuvres des parties aléatoires ou improvisées donnant une certaine liberté aux interprètes leur permettant de sortir du cadre de l’interprétation pure.

Car la musique improvisée est par nature plus spontanée. Ce n’est pas forcément gage de qualité mais engendre généralement une qualité du jeu musical évidente. Il n’est qu’à constater la virtuosité des musiciens de jazz. En n’étant pas lié visuellement à la partition, l’instrumentiste peut librement et totalement faire corps avec son instrument générant une musique réellement vivante. Pour arriver à un résultat analogue, le musicien interprète d’œuvres écrites se doit de les connaître pratiquement par cœur et assimiler musicalement les pièces qu’il doit jouer.

Cadres de l’improvisation

Mais est-ce que l’improvisation ne s’improvise pas  En effet, on ne peut improviser une musique sans avoir au préalable établi un cadre musical précis, sous peine de créer une musique de peu d’intérêt. Selon le genre musical, seront plus ou moins définis avant toute improvisation la forme, les modes ou l’harmonie. Lorsque comme en jazz plusieurs musiciens improvisent en même temps, il faut également répartir à l‘avance le rôle et le temps d’improvisation attribué à chacun.

Le mois prochain, nous aborderons plus en détail les cadres de l’improvisation. Je traiterai également de la relation entre composition et improvisation.


- Improvisation et composition musicale (I)

- Improvisation et composition musicale (II)

Notes

[1] Le jazz est une musique qui date de la fin du XIXème siècle. L’harmonie jazz reprend globalement l’harmonie des compositeurs du début du XXème siècle : Debussy, Ravel et Stravinsky. C’est certainement par l’emploi de la guitare dans un premier temps puis du piano, instruments harmoniques par excellence, que le jazz s’est approprié l’harmonie.

[2] L’harmonie des compositeurs a constamment évolué. Les accords à 4 sons (avec 7èmes), 5 sons (9èmes) ou plus, ont été généralisés à la fin du XXème et au début du XXème siècle par les compositeurs modernes.

[3] On remarquera également que cette harmonie a peu à peu été incorporée dans les musiques traditionnelles occidentales puis, plus récemment, dans d’autres musiques traditionnelles du monde.

[4] Des premières musiques de jazz, il ne reste non plus aucune trace sonore. Cette musique doit d’ailleurs son expansion à l’enregistrement sur disque.

[5] Il y a d’ailleurs des classes d’improvisation au conservatoire.

[6] Tous les modes musicaux, du majeur à la gamme par tons, conviennent comme support à l’improvisation. On peut même improviser à partir de systèmes de composition originaux.

[7] On notera toutefois qu’il existe des classes d’improvisation de fugue, pourtant l’une des formes musicales des plus complexes.

    Jean-Luc KUCZYNSKI
    Jean-Luc KUCZYNSKI est compositeur et professeur de composition musicale depuis 1988 aux ACM et depuis 1999 à l’école d’écriture et de composition Polyphonies.
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