Le Samaї est l’une des formes instrumentales orientales les plus anciennes et les plus élaborées, qui garde jusqu’à aujourd’hui une forte présence dans le répertoire des musiciens turques et arabes. Le Samaї s’est développé à partir XIV° siècle sous l’empire musulman Ottoman, la forme a atteint sa perfection vers la fin du XIX° siècle. Lire l’article
Le Samaї est l’une des formes instrumentales orientales les plus anciennes et les plus élaborées, qui garde jusqu’à aujourd’hui une forte présence dans le répertoire des musiciens turques et arabes. Le Samaї s’est développé à partir XIV° siècle sous l’empire musulman Ottoman, la forme a atteint sa perfection vers la fin du XIX° siècle.
Le Samaї s’exécute généralement par l’orchestre oriental traditionnel dit « At- Takht » composé principalement de Oud (luth), Kamenja (violon), Ney (flûte en roseau), Qanoun (cithare arabe) et les percussions : Riq (tambourin oriental), Derbouka et Douf. Cet orchestre de chambre présente la couleur orchestrale typique de la musique moyen-orientale. Aujourd’hui on trouve des concertistes qui donnent des interprétations de Samaї en solo sur des différents instruments. L’approche vers des grandes orchestrations reste encore à exploiter.
Le Samaї est un terme qui prend ses origines du mot perse « Samaa » qui signifie l’écoute et la distraction auditif. Je pense que le nom était donné justement pour le distinguer des autres compositions vocales très riches et diverses dans la tradition orientale (c’est le cas de sonate de l’instrumental et cantate du vocal en occident), le samaï étant une pièce instrumentale.
Sur le plan de la forme, le Samaї se rapproche beaucoup de son ancêtre le « Bashref » ; autre forme instrumentale musulmane très ancienne, très élaborée et riche en mélodie et en rythme. Mais la psychologie et l’expression des deux formes sont différentes.
Le Samaї ce compose de 4 parties distinctes dites « Khana » qui sont liées entre elles par une sorte de refrain dit « Teslim » qui revient après chaque Khana.
Voici le plan général du Samaї : BA-CA-DA-EA.
soit : Khana 1 Teslim- Khana 2 Teslim- Khana 3 Teslim- Khana 4 Teslim.
L’unité de la forme est assurée grâce à deux éléments principaux :
1. le Mode (Maqam) : Chaque Samaї porte le nom d’un mode qui le caractérise et qu’on reconnait souvent dès la 1ere Khana, et qui est bien présent dans le Teslim. Le mode peut se développer dans les autres Khana ou même changer par des tonulations (changement de tonalité) ou des modulations (changement de mode) dans les différents affinités du mode principal et vers d’autres sons et d’autres tensions. C’est pour cela que le Teslim présente une partie très importante dans le Samaї, il contient les traits de personnalité les plus caractéristiques du mode principal. Il présente aussi une sorte de réminiscence et une cadence de la tension vers le repos ; c’est un retour au calme, et en même temps un point de départ des Khana.
2. le Rythme (Iqa’a) : le Samaї ce joue sur un rythme composé de 10 temps réguliers. Les trois premières Khana et le Teslim ce joue sur ce rythme de 10/4 dit « Samaї Thaqil » et qui peut avoir plusieurs variantes : Osoul Aqsaq Samaї et Osoul Lenk Fekhteh.
Dans la tradition orientale et en percussion, la note grave et nommée « Doum » ( ), et la note aigue est dite « Tak » ( ). Ces deux notes forment généralement un intervalle cadentiel juste : l’octave, la quinte ou la quarte.
On peut donc simplifier le rythme du « Samaї Thaqil » comme ce ci :
Pour comprendre ce rythme je propose de le décomposer en 3 mesures : deux mesures à 3 temps et une mesure à 4 temps, comme ceci :
Généralement les percussionnistes remplissent les silences par différents rythmes mais en accentuant toujours les temps fort du Samaї Thaqil, comme par exemple :
Pour la 4 ème Khana ou la dernière partie avant le refrain, le rythme change souvent en rythmes simples 3/4, 6/4, 2/4, 4/4, ou composés 3/8, 6/8, mais aussi des 7/8, 9/8 ou 10/8, et parfois on peut trouver plusieurs rythmes entrelacés dans cette partie.
Le Samaї par sa personnalité donne un caractère gai et animé, d’abord par des mélodies charmantes, claires et un beau Teslim, avec une esthétique propre à chaque mode, et une rythmique bien particulière.
Pendant plusieurs siècles le Samaї a joué un rôle important dans la structure de la « Wasla », qui est une suite vocale et instrumentale composée de plusieurs Mouwachahate (chant chorale et soliste originaire de l’Andalousie), des danses, des Mawal (chant solo adlibitum) et des Taqasim (improvisations instrumentales).
La Wasla présente l’apogée de la création et de la pensée musicale dans la musique arabe au moyen age, elle a contribué fortement à la naissance de la suite baroque en Europe.
Chez les arabes le Samaї fait l’ouverture de cette Wasla, chez les turques il la clôture ou vient après le Bashref ; premier mouvement du « Fasilar » (Wasla en Turquie).
La Turquie à donné naissance à plusieurs Samaї’s, avec des compositeurs tel que : Osman Bey, Aziz Dede, Assem Bey, Tatius Afendi, Jamil Bey Tanbouri, Mes’ud Jamil, Hadji Arif Bey, et jusqu’à aujourd’hui les compositeurs turcs gardent le même enthousiasme pour cette forme ; Saadi Bey Ishilay, Nikolaki, Sharif Hayder, Aydin Oran et Goksel Baktagir.
On trouve en Tunisie des Samaї qui datent déjà de la période du roi Rachid Bey (1710-59) dans l’intonation du « Malouf » (la musique arabo-andalouse de la Tunisie).
Le premier Samaї composé dans l’intonation et l’esprit de la musique arabe date de 1926 et qui porte le nom de « Samaї Araby » composé par le trio (Qanoun, Oud et Violon) : Abdelhamid El Kodaby, Mohamed El Qasabji, et Sami El-Shawa, mais la célébrité est rendue au Samaї Bayati de l’égyptien Ibrahim Al Arian, composé la même année et sur le même mode que son précédant. Ce Samaї a su donner le caractère de la musique arabe et à su se détacher de l’esprit turc. Et depuis les musiciens arabes ont composé des centaines de Samaї sur les différents modes. Je cite les plus célèbres : Jamil Awis, Ali Darwish, Iskandar Shalfoun, Mohamed Abdelwahab, Youcef Basha, Safar Ali, Khmais Ternan, Rouhi Khamash et Mahmoud Sobh.
Actuellement et malheureusement le Samaї est délaissé par la plupart des compositeurs. Néanmoins, il existe quelques rares novateurs qui cherchent d’autres modes d’expression pour ressuciter et sauver cette forme ancienne tel que : Salah El Mahdi, Ahmad Fouad Hassan, Mounir Bashir, Jamil Bashir, Mohamed Triki, Nadim Darwish, Marcel Khalife, Mahmoud Adjan et Ali Jihad Racy.
A titre d’exemple, quelques Samaї les plus célèbres, pour l’initiation à l’écoute et à l’interprétation, je les classerai par auteurs :
Aziz Dede (Samaї Ushaq, S. Saba, S.Yakeh) Osman Bey (S. Nishbork, S. Bouslik, S. Sikah) Tatius Afendi (S. Rast, S. Hijaz Kar Kurd, S. Husayni, S. Souznek) Jamil Bey Tanbouri (S. Shed Araban, S. Muhayyar, S. Farah Faza) Mes’ud Jamil (S. Nahawound) Saadi Bey Ishilay (S. Muhayyar Kurdi) Irtijal Dede (S. Moustear) Nikolaki Afendi (S. Shahnez, S. Mahur) Ibrahim Al Arian (S. Bayati) Jamil Awis (S. Naw Athar, S. Nahawound) Ali Darwish (S. Nekriz, S. Zenkouleh, S. Rast Kebir, S. Bustenikar) Iskandar Shalfoun (S. Ajam, S. Souznek) Youcef Basha (S. Nahawound, S. Iraq, S. Houzam, S. Hijaz) Safar Ali (S. Nahawound) Mahmoud Sobh (S. Nahawound) Salah El Mahdi (S. Dhil, S.Hijaz Kar Kurd, S. Asbaïn) Mohamed Triki (S. Mezmoum, S. Yakeh) Marcel Khalife (S. Bayati, S. Nahawound) Ali Jihad Racy (S. Nahawound)
Petit commentaire sur « Samaï Huzam de Mohamed Abdelwahab » interprété par Haytham Safia
0’’ Kahana 1 : le mode « Huzam » est l’un des plus ancien mode arabe, sa tonique est le Mi demi bémol (note entre le mi et le mi bémol et qui fait un intervalle de ¾ ton au dessous de Fa). Le « Huzam » est un mode majeur dont la structure mélodique est très riche, elle comporte tous les intervalles du ¼ au 1+½ tons, et contient plusieurs altérations accidentelles expressives propres à ce mode, et qui jouent aussi le rôle de point de départ pour d’autres modes.
L’échelle de ce mode est : Mi ½ b - Fa - Sol - La b - Si - Do - Ré. Soit en intervalles : ¾ - 1 - ½ - 1+ ½ - ½ - 1.
On trouve souvent des altérations tel que le Ré# pour la broderie inférieure de la tonique (Mi ½ b) ce qui donne un intervalle de ¼ ton (04’’- 05’’), aussi le Mi b pour la broderie supérieure de la septième Ré (50’’- 51’’), encore aussi le Si ½ b pour la quarte en dessous de la tonique (07’’ et 30’’).
L’exposition du premier thème est faite par l’oud et le violon à l’unisson, sur le rythme du « Samaï Thaqil » de 10/4, la percussion est assurée ici par le « Riq » et renforcé par une Contrebasse qui en marque les temps caractéristiques du rythme (1-4-6-7 et 8). Elle joue aussi le rôle harmonique et contrapuntique.
La deuxième exposition commence par l’oud seul sur une pédale du violon.
45’’ Teslim : Belle mélodie qui caractérise amplement la personnalité du mode « Huzam », mélodie pleine de mélancolie et d’émotions.
1’07’’ Khana 2 : Modulation vers un mode voisin du Huzam, c’est le mode « Must’ear » avec la même tonique Mi ½ b mais avec un intervalle de seconde très caractéristique de 5/4 ton (Fa #) et une quarte de 2+ ¾ (La) et une quinte juste (Si ½ b).
Mohamed Abdelwahab dans cette Khana juxtapose ces deux modes alternativement, montrant la richesse et la complexité de la mélodie arabe.
1’40’’ Teslim : Retour au Teslim, c’est le refrain qui revient après chaque Khana.
2’02’’ Khana 3 : Développement du mode dans un registre aigu à partir de la sixte supérieure. Le Do dans le Huzam est la Dominante ; c’est la tension extrême. La première phrase ramène l’intonation vers le mode de « Rast », principal mode majeur de la musique arabe. Il ressemble au mode Do majeur mais avec un Mi ½ b et un Si ½ b.
2’35’’ Teslim : Retour encore une fois au Teslim avec quelques variantes. La composition du Teslim est une phase très importante dans un Samaï.
2’57’’ Khana 4 : Changement de rythme vers un rythme de ¾ « Samaï Tai’r » et en tempo plus vif ; cette Khana expose comme dans une coda quelques phrases et quelques intonations des autres parties, mais dans une atmosphère plus gaie et plus dense. C’est une phrase aussi dédiée à la virtuosité technique, dans laquelle où on exploite tout le registre du mode, avec des schèmes en imitation et des altérations accidentelles ainsi que des brèves modulations.
3’54’’ Teslim : Réexposition ultime du Teslim et fin de ce Samaï.
Le compositeur égyptien Mohamed Abdelwahab a su incarner la personnalité du mode « Huzam » dans l’ancienne forme de « Samaï » et dans une intonation arabe. Ce Samaï qui date de la moitié du XX° siècle reste l’un des meilleurs Samaï dédiée au mode « Huzam ».
Cette belle interprétation du jeune oudiste palestinien Haytham Safia reste fidèle à la tradition, pleine d’expression et de chaleur. Elle propose aussi une nouvelle lecture par un dialogue bien animé par l’oud et le violon, une distribution logique du quatuor et une ligne de basse bien écrite.