Interrogeons-nous sur la notion de dialogue en musique. Cette dernière a-t-elle sa place dans un art a priori si abstrait ? Parler de va-et-vient signifiants entre des éléments musicaux n’est-ce pas donner à la musique un contenu extra-musical qu’elle n’a pas ? N’est-ce pas s’inscrire dans une démarche subjective ? Toute affirmation et son contraire est, bien entendu, possible. Pour notre part, nous nous efforcerons d’argumenter, de justifier cette idée de dialogue (et par voie de conséquence de dualité, d’opposition etc.). Lire l’article
Interrogeons-nous sur la notion de dialogue en musique. Cette dernière a-t-elle sa place dans un art a priori si abstrait ? Parler de va-et-vient signifiants entre des éléments musicaux n’est-ce pas donner à la musique un contenu extra-musical qu’elle n’a pas ? N’est-ce pas s’inscrire dans une démarche subjective ?
Toute affirmation et son contraire est, bien entendu, possible. Pour notre part, nous nous efforcerons d’argumenter, de justifier cette idée de dialogue (et par voie de conséquence de dualité, d’opposition etc.).
Quelles formes un dialogue peut-il donc prendre musicalement parlant ? Entre quoi et quoi y a-t-il dialogue ? En d’autres termes, quels critères musicaux nous permettent de dire qu’il y a échange ?
Premier élément de réponse : il peut y avoir dialogue entre un instrument et un autre instrument (dans une sonate pour piano et violon par exemple) ou entre un instrument et un groupe d’instruments (cas du concerto pour soliste et orchestre) ou à l’intérieur d’un groupe d’instruments plus ou moins fournis. Dans cette perspective, Goethe parlait du quatuor à cordes comme d’une « conversation entre quatre personnes raisonnables » et Stendhal comme d’une conversation entre « quatre personnes aimables ». En fait, de tels échanges peuvent être âpres et rudes.
Second élément de réponse : d’un point de vue mélodique, on observe fréquemment des interactions entre des motifs, des thèmes etc. C’est ainsi qu’un motif peut être brutalement interrompu par une autre idée mélodique. (Mais ici également, n’entrons-nous pas dans le domaine du subjectif ? Oui et non, tout dépend du point de vue où l’on se place).
Autre analyse plus formelle. Le discours musical, composé de phrases, est parsemé de ponctuations. Il est ainsi parcouru de questions et de réponses. Une phrase se terminant par un accord de dominante équivaut à une question. Une réponse est fournie lorsqu’une phrase qui suit se termine par une cadence parfaite (accord de dominante suivie par un accord de tonique) ou imparfaite.
Mais allons un peu plus loin, et pour cela, inspirons-nous d’un documentaire intitulé « L’enfant virtuose » diffusé il y a plusieurs années à la télévision. Au cours de celui-ci, un professeur de piano et son élève, une fillette d’une dizaine d’années, décrivent un extrait d’une pièce, probablement de Mendelssohn (l’intitulé exact du morceau n’est pas précisé). Dans ce passage, trois motifs différents, appelés « personnages » , se succèdent à plusieurs reprises dans un court laps de temps. La notion de « personnage » est évoquée par le professeur sans doute pour permettre à l’enfant de s’approprier le passage, de le mettre à son niveau, à sa portée. Cette notion possède un intérêt : si les motifs sont en effet personnifiés, c’est parce qu’ils diffèrent les uns des autres selon des critères musicaux précis, à la manière d’individus qui présentent des particularités physiques, morphologiques et comportementales identifiables et reconnaissables. Le premier motif est ainsi plus mélodieux et plus chantant que les deux autres. La valeur métrique des notes qui le composent est longue. Les deux autres motifs, en réalité assez proches l’un de l’autre (le troisième est simplement plus grave que le second), sont vigoureux, vifs ; leur valeur métrique est courte. Comme nous l’avons dit, les motifs se succèdent plusieurs fois de suite (⇨ va-et-vient entre eux) , le premier montant à chaque fois d’un cran vers les aigus, d’où augmentation de la tension. C’est ce qui fait dire au professeur de piano « qu’ils se battent pour quelque chose".
A travers la notion de « personnage » et de successions réitérées de motifs, c’est bien l’idée de dialogue que nous avons tenté d’illustrer ici.
Schématiquement nous pouvons dire qu’il y a dialogue en musique lorsqu’il y a interaction entre des éléments ou « entités » mélodiques (thèmes, motifs, cellules...) distincts les uns des autres, donc clairement identifiables, reconnaissables. D’où l’importance :
en un premier temps de caractériser ces entités, de mettre en évidences les paramètres (tempo, intensité sonore, rythme, silence, timbre, ambitus, trajectoire mélodique, phrasé etc.) qui les fondent, les différencient
en un second temps de déterminer si ces dernières interagissent ou non entre elles (il peut n’y avoir que simple succession, juxtaposition). Et dans l’affirmative, de quelle manière ?
Repérer les thèmes, motifs, cellules et plus généralement cheminements mélodiques (pour reprendre une expression de Jean-Luc Kuczynski) d’un morceau constitue en résumé une étape nécessaire au processus de compréhension de celui-ci. Et permet de mieux appréhender les échanges, contrastes, oppositions éventuels qu’on y observe.