Le blog de Polyphonies, école à distance d’écriture musicale et de composition.

"L’envol du Phénix" de Pascal Lorenzini - Prix de composition Gabriel Pierné 2018-2019

Arrivant au terme de ma formation à Polyphonies, j’ai eu envie d’approfondir mes connaissances dans le domaine de la musique contemporaine, dont les différents courants sont abordés au cours 70, juste avant la validation du Master. Aussi, je me suis inscrit en septembre 2018 en classe de composition au Conservatoire à Rayonnement Régional (CRR) de Metz. Aussitôt intégré à cette classe de composition, j’ai eu l’opportunité de participer à un concours organisé tous les deux ans. Lire l’article

Je tiens à préciser que j’ai attendu d’avoir acquis, grâce au long et passionnant travail qui nous est proposé dans le cadre du cursus Polyphonies, le recul suffisant en écriture dans les esthétiques antérieures, allant de l’époque de Bach à la 1ère moitié du XXème siècle, et dans des formes aussi différentes que la fugue, le choral, la sonate ou le lied pour ne citer qu’elles. Et que je ne conseillerais à personne de s’engager dans la composition contemporaine sans ce bagage, contrairement à ce que l’on peut parfois entendre dans certains « milieux autorisés ». D’ailleurs, ce n’est à mon avis pas un hasard si une personnalité comme György Ligeti, considéré à juste titre comme l’un des plus grands compositeurs de la seconde moitié du XXème siècle avait acquis, lors de sa première période créatrice dans une Hongrie encore marquée par l’ombre d’un autre géant, Bartok, une incomparable science de l’écriture.

Présentation du concours

Ce concours, qui porte le nom d’un compositeur natif de Metz, Gabriel Pierné, est ouvert aux élèves des classes de composition des CRR de la région Grand-Est (regroupement administratif de l’Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardennes), et consiste à écrire une pièce d’une durée minimale de 5 minutes pour un ensemble de chambre. Surtout, sa particularité consiste à se faire en synergie avec un autre concours, littéraire celui-là, puisque l’œuvre musicale doit illustrer, sous un angle dont la liberté de choix est laissée au compositeur, une Nouvelle primée l’année précédente (le concours de littérature ayant lieu les années paires, celui de composition musicale les années impaires).

Après une présélection faite par le jury sur la base des partitions anonymisées, une finale publique est organisée, lors de laquelle les pièces retenues sont jouées par des professeurs de CRR et dirigées par des élèves de classe de direction d’orchestre.

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Pascal Lorenzini (pull bleu clair à gauche), avec d’autres finalistes et le professeur du CRR de Metz (à droite)

A ma grande joie, j’ai fait partie des six finalistes et remporté ce concours en mars 2019. Je tiens à remercier chaleureusement Jean-Luc car la clarté et la pertinence de son enseignement m’ont été particulièrement précieuses pour atteindre ce résultat. J’ai en effet pu mettre en pratique plusieurs points que je considère comme des points-clés dans le savoir qui nous est transmis à Polyphonies :

- L’importance des schèmes et des techniques pour les développer, que ce soit en en faisant évoluer les intervalles, la rythmique, le « sens » (contraire, rétrograde, etc.), la disposition et/ou superposition aux différentes voix,

- Les techniques de variation,

- La notion de grand rythme mélodique, absolument essentielle à la qualité d’une pièce, et par extension celle de complémentarité entre les lignes.

Bien évidemment, mes remerciements vont aussi à mon professeur de composition au CRR de Metz, Filippo Zapponi, ayant étudié à Côme et Milan avant de venir en France pour rejoindre à Strasbourg son Maître, le compositeur italien Ivan Fedele, puis de suivre un cursus à l’IRCAM et les sessions de composition de Brian Ferneyhough à Royaumont. Filippo m’a beaucoup aidé à m’approprier un langage contemporain auquel je n’étais pas accoutumé au moment d’intégrer sa classe, sans quoi je n’aurais pas été en mesure de rendre ma pièce pertinente dans le cadre de ce concours … de musique contemporaine.

Enfin, je ne saurais passer sous silence la contribution des professeurs d’instruments et de l’élève de la classe de direction qui ont interprété ma pièce car, n’ayant pu disposer que de courtes répétitions, ainsi que d’une « générale » le matin de la finale afin de peaufiner les « derniers réglages » en échangeant avec chaque élève-compositeur, ils ont su, grâce à la qualité de leur interprétation, aider à convaincre le jury.

Vidéo du CRR de Metz : "Tel le Phenix"de Pascal Lorenzini, lauréat du Prix de composition Gabriel Pierné 2018-2019"

Quelques mots sur la Nouvelle « Tel le Phénix » de Gaëlle Magnier

Cela est en effet indispensable pour permettre au lecteur de comprendre le fil directeur de ma musique. Intitulée « Tel le Phénix » (édition Souffle Court), cette Nouvelle met aux prises deux figures bibliques, celle de l’archange Gabriel et celle de Jézabel. Princesse phénicienne, fille d’Ithobaal Ier, roi de Tyr et de Sidon, Jézabel fût l’épouse du roi d’Israël Achab, qui régna de -874 à -853. Son histoire est narrée dans la Bible, aux premier et second livres des Rois de l’Ancien Testament. Elle y est présentée comme une étrangère malfaisante qui incite le roi et le peuple à se détourner de l’Éternel. Après la mort d’Achab, elle est défenestrée ; dévorée par des chiens, sa mort est épouvantable. Un autre personnage du nom de Jézabel, présenté de façon tout aussi repoussante, est cité dans le Nouveau Testament, dans le livre de l’Apocalypse. Gabriel, archange et messager de Dieu, apparaît dans le Livre de Daniel de la Bible hébraïque puis, dans le Nouveau Testament, il annonce à Zacharie que sa femme Élisabeth aura un fils qu’il appellera Jean, puis il annonce la naissance de Jésus à la Vierge Marie. Messager d’amour d’un côté, personnage porteur de haine de l’autre : comme les deux faces opposées de la nature humaine, capable du meilleur comme du pire, capable de s’auto-détruire tout en portant en elle la capacité de se reconstruire, tout comme le Phénix renaît de ses cendres. Tel est le centre de gravité de « Tel le Phénix ».

Aussi, j’ai conçu ma pièce comme un voyage musical autour de cette ambivalence. L’effectif instrumental comporte une grande flûte en ut, une clarinette (alternativement soprano si bémol et basse), un violon, un alto, un piano et des percussions (tam-tam, vibraphone).

Structure de l’œuvre

Sur le plan formel, ma pièce est de type Durchkomponiert  [1]. Je distingue 3 parties, elles-mêmes divisées en sous-ensembles. Les principaux éléments musicaux, énoncés dès la première, y sont développés sous différents angles, en lien avec les aspects de la Nouvelle mis en exergue dans chacune d’elle, et donc les climats sonores recherchés.

- Partie A (mesures 1 à 63)

A1 : l’aube après le chaos (voir analyse mes. 1 à 14)

A2 : le réveil douloureux de l’archange (voir analyse mes. 15 à 21)

A3 : l’humanité renaît à la vie (voir analyse mes. 22 à 31)

A4 : la vie et ses passions (mes. 32 à 45)

A5 : vers le cataclysme (mes. 46 à 63)

- Partie B (mesures 72 à 97)

B1 : une nouvelle aube (mes. 64 à 78)

B2 : l’humanité renaît à nouveau à la vie (mes. 79 à 86)

B3 : déchaînement des passions. Vers la question fondamentale (mes. 87 à 97)

- Partie C (mesures 98 à 116)

C1 : l’aube sereine montant vers la lumière (mes. 98 à 108)

C2 : réconciliation et paix (mes. 109 à 116)

Dans la suite de cet article, je me propose d’illustrer par l’analyse de la pièce, étayée d’exemples tirés de la partition, combien l’enseignement de Polyphonies a pu me servir à atteindre cet objectif.

Poursuivre avec l’article "Analyse détaillée de L’Envol du Phenix"

Notes

[1] De l’allemand ; littéralement « composition continue » ou « composée de part en part ». Désigne une musique dont le déroulement expressif s’interdit toute forme de reprise thématique, même si le texte qu’elle accompagne présente un caractère répétitif (strophe, couplet/refrain...)

    Pascal LORENZINI
    Chercheur en sciences des matériaux et passionné de musique depuis un coup de foudre à l’écoute d’une sonate de Beethoven lorsque j’étais collégien, j’ai étudié le piano au conservatoire de Metz dans les années 80 et ai toujours ressenti le besoin de composer. Élève de Polyphonies depuis 2013, je peux enfin structurer mes idées en la matière grâce à l’enseignement de Jean-Luc. Attiré par le son de la clarinette dont mon fils fait l’apprentissage, je m’initie également depuis quelques années à ce très bel instrument.
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