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Benjamin BRITTEN : War Requiem

Le War Requiem est une énorme symphonie chorale, dans laquelle il faut voir un chef-d’œuvre du vingtième siècle, écrit lorsque Britten approchait de la cinquantaine. Ce fut un grand plaidoyer contre la guerre et pour la réconciliation des peuples. 45 ans après, l’œuvre est toujours aussi fascinante, toujours aussi bouleversante. Britten rapproche le texte latin du Requiem, de foi et de compassion, avec les poèmes de Wilfried Owen, soldat au milieu du terrible carnage de 1914/1918. Cette composition magistrale réunit à la fois un grand orchestre et un orchestre de chambre, un grand chœur et un chœur d’enfants ainsi que trois solistes, pour clamer la tragédie humaine que fut la "der des der", et hélàs après elle, toutes les autres. Lire l’article

Biographie

(né à Lowestoft, le 22 novembre 1913 - † à Aldeburgh, 4 décembre 1976)

- De 1913 à 1922 : Benjamin Britten naît le 22 novembre, jour de la Sainte Cécile, dans une petite ville du Suffolk, Lowestoft, à l’extrême est de la côte anglaise. Il y passera toute son enfance. Ce sont des lieux sévères et rudes, soumis aux assauts d’une mer grise, battus par les vents et les tempêtes. C’est le 4ème enfant de Robert Victor Britten, qui est chirurgien dentiste (métier qu’il exècre), et d’Edith sa femme. Le penchant du père pour la boisson est une des raisons qui pousse Edith à vouloir préserver ses enfants de l’influence paternelle. Elle est d’un caractère rigide, et exerce une véritable emprise sur eux, en excluant leur père. Excellente pianiste amateur, elle donne à Benjamin ses premières leçons de musique dès l’âge de 4 ans. Britten commence à écrire ses premières pièces à l’âge de cinq ans, et écrit abondamment tout au long de son enfance avec une étonnante facilité. Il compose avant le petit-déjeuner, pour aller ensuite à l’école. De ces œuvres, Britten recueillera plus tard les parties les plus inspirées pour composer la Simple Symphonie .

- En 1922 : Britten entre au Royal College of Music, pour continuer son apprentissage du piano et de la composition avec Harold Samuel et Arthur Benjamin. Sa mère obtient l’autorisation du directeur pour qu’il quitte l’école plus tôt pour ses répétitions de piano et son travail de composition. Mais ces études le déçoive : il en dira dans ses dernières années qu’il « n’y a pas appris grand-chose ».

- En 1927 : Britten rencontre Frank Bridge, compositeur très au fait des styles expérimentaux et des recherches de Bartók et Schoenberg. Bridge prend Britten sous sa tutelle, et lui donne une base technique sur laquelle fonder sa créativité et sa culture musicale. Professeur exigeant, les cours de Bridge sont éprouvants : « je terminais souvent ces marathons en pleurs », se rappellera Britten trente cinq ans plus tard, dans une interview au Daily Telegraph : « non qu’il fut brutal, mais l’intensité de la concentration était trop grande pour moi ». Britten restera néanmoins très attaché à cette figure quasi paternelle. Sa mère effectue de nombreuses démarches auprès de la BBC, de compositeurs ou musiciens de renom, pour faire reconnaître les talents musicaux de son fils.

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Frank Bridge (1879-1941)

- En 1931 : Britten remporte le Prix Farrar de composition (R.C.M.)

- En 1932 : Première œuvre donnée en concert. Il continue ses études au Royal College avec John Ireland, avec qui il s’entend difficilement ; Ireland conteste les méthodes « laxistes » de Bridge, annule des cours, est parfois éméché, et se laisse aller à des avances sexuelles vis à vis de Britten.

- 1933 : Rencontre de Schoenberg.

- En 1934 : Britten termine ses études au Royal College of Music et obtient une bourse de voyage. il part en voyage à Florence, où une de ses compositions a été acceptée. Il y rencontre le chef d’orchestre Hermann Scherchen, et surtout son fils Wolfgang, dit Wulff, âgé de quatorze ans. Britten se prend d’affection pour ce jeune adolescent, et ne le quitte pas pendant son bref séjour. Au cours d’une promenade sous la pluie, il l’abrite sous son imperméable et est bouleversé par une très forte attirance sensuelle dont il fait état dans son journal. Mort de Robert Britten d’une hémorragie cérébrale, à l’âge de 57 ans. Six mois plus tard, Britten entreprend avec sa mère un périple européen qui le mènera notamment à Vienne, où il est déçu de ne pouvoir rencontrer Alban Berg, ses projets d’étudier avec le compositeur se heurtent à l’opposition de sa famille et de ses professeurs anglais. Il noue une amitié amoureuse avec Piers Dunkerley, âgé de 13 ans ; Il semble ne prendre conscience que très progressivement de son homosexualité, et très longtemps ne veut voir en ses attirances que des sentiments amoureux idéalisés, non sexualisés.

- En 1935 : Britten est le seul des quatre enfants à ne pas avoir acquis son indépendance financière, et la pension laissée par son père à sa mère ne permet pas à celle-ci de l’entretenir plus longtemps. Il doit accepter des emplois alimentaires. Britten compose de la musique pour films documentaires produit par le General Post Office. Il rencontre Wystan Auden, de 7 ans plus âgé que lui, et qui est déjà un poète assez connu. Auden est très engagé dans le militantisme homosexuel en faveur d’une libéralisation des moeurs, au sein d’une société anglaise pour laquelle, jusqu’aux années 70, l’homosexualité est un délit.

- En 1937 : Mort à Londres d’Edith Britten, d’un arrêt cardiaque dû à une pneumonie aggravée. Cette même année néanmoins, Britten rencontre Peter Pears de trois ans son aîné. Homosexuel, chanteur dont le talent ne s’est pas encore révélé, il ne semble pas destiné à une carrière d’opéra. Sa relation avec Britten, le talent et l’exigence de celui-ci, auront un effet stimulant pour Pears qui en quelques années s’imposera comme un remarquable interprète lyrique. Britten travaille à une œuvre qui le révèle au festival de Satzbourg Variations on a theme of Frank Bridge, pour ochestre à corde. C’est un succès international. On y découvre des éléments piquants de parodie qui apparaîssent déjà dans la suite pour orchestre Soirées musicales, pastiche de Rossini, et que l’on retrouvera dans les variations sur un thème de Purcell, instulées The Young Person’s Guide to the Orchestra. A Satzbourg, Britten retrouve Wulff Scherchen, qui est maintenant âgé de dix-huit ans et qui vit avec sa mère à Cambridge.

- En 1939 : Auden émigre aux États-Unis, et Britten le suit accompagné de Peter Pears. Ils craignent d’être emprisonnés pour leurs orientations pacifistes dans un pays qui se prépare à la guerre. Britten nourrit aussi l’ambition d’acquérir outre-atlantique une réputation déjà obtenue en Angleterre. Frank Bridge, pressentant un adieu possible, se déplace pour l’embarquement et lui fait cadeau de son violon. Après quelques mois, ne s’adaptant guère à la mentalité américaine, Britten a le mal du pays. Il se lance dans une œuvre de commande, une opérette, sur un livret d’Auden qui l’a pris sous sa coupe, et qui traite d’un mythe fondateur américain, l’histoire du bûcheron géant Paul Bunyan.

- En 1940 : Britten reçoit la médaille du Soutien de la Bibliothèque du Congrès pour services rendus à la musique de chambre.

- En 1941 : Mort de Franck Bridge, son second père. Paul Bunyan reçoit un accueil médiocre de la critique. Britten découvre alors le poète anglais George Crabbe (1754-1832), qui réveille en lui « le regret de cette côte farouche et impressionnante, la côte d’Aldeburgh... ».

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Buste de George Crabbe à Aldeburgh église paroissiale.

Il s’attelle aussitôt à une œuvre majeure Peter Grimes,inspiré par la pièce de Crabbe "The Borough", composée de 24 lettres qui décrivent l’univers et la vie des pauvres vivants sur cette côte, et dans une desquelles apparait le personnage de Grimes.

- En 1942 : De retour à Londres il doit cependant répondre de son pacifisme devant un tribunal ; comme Pears, il obtient un statut d’objecteur de conscience, et, exempté de toute obligation militaire, il peut se consacrer entièrement à la musique. Il écrit l’Hymne à Sainte-Cécile, sur le bateau qui le ramène en Angleterre : espoir d’une nouvelle naissance, retour aux origines, retrouvailles avec la mer (mère) disparue... Il s’installe à Aldenburgh avec Pears. L’officialisation de leur liaison se fait lors d’un concert à Wigmore Hall dont le programme inclut Seven Sonnets of Michelangelo, une œuvre pour ténor et piano considérée comme une déclaration d’amour entre le compositeur et le chanteur.

- En 1945 : La rédaction du livret de Peter Grimes, qu’il a confié à Slater, tout d’abord ne l’inspire pas : à ce moment Grimes apparaît comme un meurtrier, victime d’un système social, tandis que sa dimension psychologique propre s’efface, et que s’éloigne le thème de l’innocence qui était au centre du projet initial de Britten. Il remanie considérablement le livret, rejetant à la fois les versions explicitement homosexuelles et psychopathologiques du héros, pour en faire un idéaliste torturé, un homme porté sur l’introspection, un artiste confronté à l’incompréhension de la foule. L’opéra est terminé le 10 février, mais des difficultés surgissent avec la troupe du Sadler’s Wells, qui considère que la musique de Britten est trop difficile à chanter. Finalement, la première représentation a lieu le 7 juin et rencontre un vif succès auprès du public.

- En 1946 : Après Le viol de Lucrèce, opéra adaptant un épisode de l’Histoire Romaine de Tite-Live, composé entre janvier et mai, il s’attelle à un opéra comique, Albert Herring, d’après une pièce de Maupassant. Il participe à la fondation de l’English Opera Group, compagnie lyrique formée d’un douzaine de chanteurs et d’un orchestre de chambre afin de disposer d’une troupe permanente de chanteurs, sans choeur, avec un minimum d’instrumentistes, parfaitement habituée à son répertoire, toujours disponible, assurant ainsi son indépendance vis à vis des institutions existantes. Britten réduit l’orchestre à un ensemble de solistes ; c’est le chariot de Thespis lyrique, avec ses décors pliants, s’en allant par les villes et les campagnes, les œuvres réduites à l’essentiel, les dépenses aussi.

- En 1948 : Britten créé le Festival d’Aldeburgh, qui sera inauguré en juin. L’attirance de Britten pour les jeunes garçons devient notoire. David Spenser dans Albert Herring, âgé de 13 ans, séjourne chez lui. Leur amitié durera jusqu’en 1949, quand David aura 15 ans et commençera à se raser. Suivront Humphrey Maud, Jonathan et Sammy Gathorne Hardy, et d’autres enfants d’âge scolaire de ses amis. Il est peu de périodes où Britten ne s’est pas trouvé lié, par une relation plus ou moins amoureuse teintée de sentiments « paternels », à un jeune adolescent.

- En 1950 : Création de Billy Budd d’après l’oeuvre de Melville. Britten et Forster, qui a participé à la rédaction du livret avec Crozier, ont modifié l’équilibre de la nouvelle de Melville en plaçant le capitaine Vere au centre du drame : comme l’écrit Xavier De Gaulle (1996), « l’opéra est bien l’espace de la conscience de Vere, entre remords et révélation ... Vere n’en reste pas moins la figure centrale, miroir malgré lui de ce rapport entre perversité et innocence ».

- En 1952 : Britten écrit une cantate, Abraham et Isaac, récit biblique de l’épreuve divine imposant à Abraham le sacrifice de son fils Isaac, interrompu par l’intervention de Dieu. Cette cantate, dont le thème se situe dans la continuité de Billy Budd, présente une particularité technique , relevée par Xavier De Gaulle (1996) : « Le plus difficile était ... de faire parler ce Dieu Caché, celui qui donne ces ordres si durs et inhumains et qui finalement révèle à Abraham que ce n’était qu’une épreuve qu’il faisait subir à sa foi. Britten trouva une solution géniale, bien au delà de la simple trouvaille. La voix de Dieu sera celles, mêlées, d’Abraham et d’Isaac. L’effet est proprement saisissant et s’impose alors comme une évidence : le sacrificateur malgré lui et l’innocent ne sont plus qu’un ... ».

- En 1953 : Britten est fait "Compagnon d’honneur".

- En 1954 : Britten se lie d’amitié avec Roger, fils de Ronald Duncan (le librettiste du Viol de Lucrèce »), né en 1943. Création de The Turn of the Screw d’après la nouvelle d’Henry James. La dimension dramatique du livret est soutenu par une expressivité musicale à son comble. Dans cette œuvre, l’existence chez les enfants eux-même d’un désir qui répond en écho à la séduction perverse des fantômes, n’en fait plus seulement des victimes innocentes, mais également des porteurs d’un conflit interne, d’une violence parfois insoutenable. « Tu vois, je suis mauvais, je suis mauvais, n’est-ce pas », dit le petit Miles (qu’on prend souvent pour un autoportrait de Britten) à la gouvernante, après qu’elle l’ait surpris dialoguant avec le fantôme trompeur de Quint, dans une intimité malsaine. Si l’enfant se libère finalement de l’emprise de Quint, il meurt dans les bras de la gouvernante. Britten écrit à un ami : « Je pense que tu as raison à plus d’un titre en pensant que ce sujet est le plus proche de moi parmi tous ceux que j’ai choisi ».

- En 1956 : Britten découvre la musique de gamelan (qui inspirera Le Prince des pagodes) et du théâtre Nô japonais, lui inspirantCurlew River.

- En 1957 : Britten quitte Crag House, merveilleusement située le long de la plage, pour Red House, sur les hauteurs d’Aldeburgh. Ce déménagement traduit un tournant dans la vie de Britten ; il a quarante quatre ans, et semble passer d’une adolescence prolongée, bohème, à un vieillissement prématuré. Il souffre d’une profonde fatigue de la vie qui ne le quittera presque plus, alors que sa notoriété grandissante lui vaut de nombreuses distinctions et une reconnaissance internationale : il est élu membre honoraire de l’Académie américaine des arts et des lettres.

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The Red House, circa 1960.

- En 1960 : Britten rencontre Dmitri Shostakovich et Mstislav Rostropovich. Commence une collaboration artistique très fructueuse, d’où naît la Sonate pour violoncelle créée au festival d’Aldeburgh.

- En 1963 : Création du War Requiem, dédié notamment à Piers Dunkerley, qui s’est suicidé deux ans auparavant, et dont la partie soprane aurait dû être créée par la femme de Rostropovitch, Galina Vichnievskaia, mais à qui l’URSS refuse le visa au dernier moment. C’est un énorme succès pour Britten et ses amis. Ce Requiem a été tenu comme une des plus impressionnante œuvre britannique pour chœur, et le chef-d’œuvre de Britten. Création de la Cello Symphony, et trois suites pour violoncelle, par Rostropovich.

- En 1964 : Britten reçoit la médaille d’or de la Royal Philharmonic Society, et deux citations de la Musique à New York Critics Circle pour A Midsummer Night’s Dream et le War Requiem. Il expose son esthétique musicale dans un discours prononcé aux Etats Unis, lorsqu’il reçoit le Aspen Award.

- En 1965 : Britten est fait membre de l’Ordre du Mérite.

- En 1967 : La Reine Elizabeth II ouvre le Maltings concert hall à Snape.

- En 1968 : Apparition des premiers troubles cardiaques de Britten, qui souffre d’une endocardite et d’une pathologie de la valve aortique, probablement congénitale. Il entreprend l’écriture de son opéra Owen Wingrave d’après une nouvelle d’Henry James, en réponse aux horreurs de la guerre du Vietnam. L’œuvre, commandé par la BBC en 1966, est spécifiquement conçue et composée pour la télévision. Britten y utilise la technique sérielle, et développe un passage de percussions admirable, pièce dans laquelle il réaffirme avec expressivité ses profondes convictions pacifistes.

- En 1971 : Commence la composition de Death in Venice d’après la nouvelle écrite en 1912 par Thomas Mann, ignorant que Visconti tourne au même moment son film « Mort à Venise ». Britten est au plus mal, physiquement et psychologiquement. Il veut faire de cette œuvre, qu’il sait être son dernier opéra, son testament musical, toujours dénonçant le conflit entre l’innocence et la corruption. Bien que la musique soit généralement retenue et les textures « minimales », le travail sur l’évocation et l’atmosphère en font un opéra culminant dans l’œuvre de Britten. Malgré l’état d’épuisement dans lequel il se trouve, il repousse l’opération cardiaque qui est devenue indispensable.

- En 1973 Britten est finalement opéré du coeur, opération dont il ne se remettra jamais entièrement. Il assiste à la création de Mort à Venise, en fauteuil roulant. Il reste paralysé du côté droit.

- En 1974, Le gouvernement français décerne à Britten le Prix Ravel.

- En 1976 : Il est fait pair et devient Sir Britten. Il s’eteint quelques mois après, à son domicile à Aldeburgh

A propos du compositeur

« Britten ... est imprégné par l’obsession de la pureté souillée ou menacée : pureté du corps, de l’esprit, ou des deux, il n’est pas une oeuvre ou presque qui échappe à cette problématique. Dans le même sens, il est parcouru par la hantise de l’incarnation humaine d’un mal satanique, qui habite tantôt les personnages les plus noirs, tantôt, et comme malgré eux, les plus purs ; dans ce dernier cas, c’est le regard des autres qui inocule ce mal, l’inscrit dans l’être de la victime et la proclame coupable. L’individu face à la foule, à la famille, plus généralement à la société constitue un thème ... qui fait le siège de chaque opéra de Britten... Enfin, ... c’est l’esprit d’enfance et sa préservation qui demeure au centre de chaque ouvrage... l’ enfant se présente, dans toute son oeuvre, comme le spectacle intérieur de notre propre déchéance... l’enfant, dans l’univers de Britten, est toujours ballotté ou menacé par des adultes qui l’entourent" (Xavier De Gaulle, 1996 : Benjamin Britten ou l’impossible quiétude. Actes Sud, Arles ).

Indépendant de tout école et de toute chapelle, Britten est cependant très anglais par sa prédilection pour les voix, son attachement à Purcell et l’influence qu’ont exercé sur son inspiration les formes mélodiques du folklore britanique, par un certain sens de l’humour aussi, qui met sa sensibilité à l’abris de l’emphase (Dictionnaire universel de la musique -Roland de Candé - Edition du Seuil). Benjamin Britten se distingue par un style encore tonal, avec des incursions dans l’atonalité. Il a énormément écrit, et abordé tous les genres, en dehors de la symphonie. En général, le compositeur se laisse inspiré par les mots. C’est à l’opéra que Britten, à l’inverse des autres compositeurs anglais, a acquis sa célébrité. Ses cantates sacrées et profanes, ses Canticles grandes cantates pour soliste, et son grand War Requiem, témoignent de son goût profond pour la poésie et son habilité à la mettre en œuvre. Ses mélodies également, qui sont groupées en cycle pour la plupart, sont des emprunt à Rimbault, Donne, Michel-Ange, Hardy et Auden ; la plus connue est Sérénade pour ténor, cor et cordes (1943).

"Je tiens compte des circonstances humaines de la musique, de son environnement et de ses conventions : ainsi pour le théâtre, j’essaie d’écrire une musique efficace dramatiquement. Et puis la meilleure musique qu’on puisse écouter dans une grande église gothique, c’est la polyphonie qui fut écrite pour ce type d’architecture et calculée en fonction de sa résonance : telle fut mon approche pour le War Requiem . Je crois en la musique de circonstance. Presque chaque chose que j’ai composée l’a été en vue d’une certaine occasion, habituellement pour des exécutants bien définis et toujours pour des êtres humains..." écrit Britten dans son discours prononcé aux Etats Unis, lorsqu’il reçoit le Aspen Award.

Né à la musique au moment où Stravinski et Schönberg, ce dernier surtout, la révolutionnent, Britten va obstinément son propre chemin. Il aime Debussy, Moussorgski, le chant italien ; il leur restera fidèle. Il aime la musique ancienne, la richesse inépuisable des modes du Moyen Âge, du chant des troubadours, du chant grégorien. Il aime le chant fruité des instruments d’autrefois. Lorsqu’il ira chercher son inspiration dans Shakespeare, ce sera dans Le Songe d’une nuit d’été , et sa musique sera celle de l’époque élisabéthaine, si douce et si limpide parmi les horreurs du temps. De la façon la plus simple et la plus directe, il dira ses angoisses, calmera ses démons. Il ne reniera jamais ceux qu’il considère comme ses exemples et ses maîtres, mais ne les imitera jamais non plus, s’en approchera peut-être trop ; jusqu’au danger du pastiche, dans les trois opéras d’église ; mais c’est là peu de chose, au regard d’une œuvre qui se lie aux plus hautes traditions avec les signes permanents de la plus profonde originalité.

Extrait d’une interview donné par Donald Mitchell à Britten : « Pourrions-nous un instant nous pencher sur un exemple précis, je pense au War Requiem. Sentiez-vous, lorsque vous entrepreniez cette immense tache créatrice, la présence des grands précédents de messes mises en musique de par le passé ?"

BB : Je vous répondrai par une parabole. Voici peu, on créait l’opéra d’un jeune compositeur près d’ici. Et pendant ce même temps, d’autres opéras étaient joués dans les environs. Certes, il était très pris par le temps et très absorbé par son travail, mais il me sembla très curieux qu’il ne veuille pas aller voir comment Mozart pouvait résoudre ses problèmes. S’il décidait de conduire d’ici jusqu’à Newmarket, il utiliserait naturellement une carte routière pour s’orienter. Pourquoi, puisqu’il utilise un plan pour aller à Newmarket, n’en utilise-t-il pas un pour écrire son opéra ? Je sais bien qu’il cherchait à exprimer quelque chose de différent, au même titre que nous utiliserions certainement un autre genre de voiture pour aller à Newmarket que celle qu’avait à sa disposition le cartographe. Mais après tout, il y a beaucoup de points communs entre les ouvrages qui présentent des idées théâtrales au public. Et je suis tenté de croire qu’il est utile de savoir comment les autres sont partis pour Newmarket et sont, selon toute évidence, arrivés à destination - même si on peut rejeter l’ancien chemin, et en trouver un nouveau. Je serais bien bête de ne pas prendre note comment Mozart, Verdi et Dvorak - ou qui que ce soit d’autre - ont écrit leurs messes. Nombreux sont ceux qui ont relevé des similarités entre le Requiem de Verdi et mon propre War Requiem. Elles existent très probablement. Si je n’avais pas digéré ces œuvres, tant pis pour moi ; mais cela ne signifierait pas que je me trompe, seulement que je suis mauvais compositeur. »

A propos du « War Requiem »

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Cathédrale de Coventry

Commandée pour l’inauguration de la cathédrale de Coventry reconstruite après sa destruction au cours de la seconde guerre mondiale, cette œuvre fournit à Benjamin Britten l’occasion d’écrire un réquisitoire contre la guerre et un hommage à toutes ses victimes. Combinant le texte liturgique du ″Requiem″ et des poèmes de Wilfred Owen (1893-1918), poèmes écrits au front de la 1ère guerre mondiale, ce ″War Requiem″ oppose trois groupes vocaux et instrumentaux :

- à un grand choeur, orchestre et soprano solo est confié le texte de la messe des mort : ils sont la voix impartiale et religieuse pour le repos des âmes des morts.

- le choeur d’enfants soutenus par l’orgue, placé dans le lointain, personnifie l’innocence et l’illusion de l’avenir.

- le ténor et le baryton accompagnés d’un orchestre de chambre chantent les poèmes d’Owen ; voix masculines, dures, tranchantes, qui disent la réalité traumatique. Ils représentent les soldats (anglais pour le ténor, allemand pour le baryton), qui paient le prix sanglant de l’ambition et la vanité de leurs dirigeants.

L’oeuvre se veut être un témoignage fondamental de l’histoire de notre siècle, Britten l’a voulu ainsi, et a mis en exergue ces vers d’Owen :

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Peter Pears pendant l’enregistrement en janvier 1963, chœurs et orchestre à l’arrière-plan. Assis derrière lui, Dietrich Fischer-Dieskau , en manteau Photo par Erich Auerbach)

"My subject is War, and pity of War (mon sujet est la guerre, et ce que la guerre a de pitoyable)

The Poetry is in the pity (La poésie est dans le pitoyable)

All a poet can do is to warn" (tout ce qu’un poète peut faire, est de mettre le monde en garde) »

Les divers textes sont mis en perspective, les poèmes anglais apportant un commentaire, une dramatisation, une actualisation des textes liturgiques. Britten choisit ces œuvres, exprimant toute la dureté et la réalité brutale de la 1ère guerre mondiale, et les oppose à la pieuse messe latine, mettant tout son art « pour faire une déclaration musicale publique sur la futilité criminelle de toute guerre." (traduction française en cours)

The Parable of the Old Man and the Young (parabole du vieil homme et l’enfant) (Wilfred Owen, 1893-1918)

Intégré dans le War Requiem et chanté par le ténor à l’Offertoire :

So Abram rose, and clave the wood, and went, (Alors Abraham se leva, fendit le bois, et alla,)

And took the fire with him, and a knife. (Et il prit avec lui le feu, et un couteau.)

And as they sojourned both of them together, (Et comme ils séjournaient tous les deux ensemble,)

Isaac the first-born spake and said, My Father, (Isaac, le premier-né, parla et dit : “Mon Père,)

Behold the preparations, fire and iron, (Vois les préparatifs, le feu et le fer,)

But where the lamb, for this burnt offering ? (Mais où est donc l’agneau pour cet holocauste ?”)

Then Abram bound the youth with belts and straps, (Alors Abraham lia l’enfant avec ceintures et sangles,)

And builded parapets and trenched there, (Et là fît parapets et tranchées,)

And streched forth the knife to slay his son. (Et brandit le couteau pour tuer son fils.)

When lo ! and angel called him out of heaven,(Et voici qu’un ange depuis le ciel l’appelait)

Saying, Lay not thy hand upon the lad, Disant : (“N’étends pas ta main sur l’enfant)

Neither do anything to him. Behold, (Ni ne lui fais rien. Vois ce bélier,)

A ram, caught in a thicket by its horns ; (Pris par les cornes dans un buisson :)

Offer the Ram of Pride instead of him, (Offre le Bélier d’Orgueil plutôt que l’enfant.”)

But the old man would not so, (Mais le vieillard n’en fit rien, et tua son fils,)

but slew his son, - And half the seed of Europe, one by one. (Et avec, un par un, la moitié des enfants d’Europe.)

traduction : Emmanuel Malherbet, Alidades 1995 (Source)

Le plus célèbre poème de Owen, « Strange Meeting », est repris dans la dernière partie du War Requiem ; le Libera me, de manière extrêmement émouvante.

Owen dépeint dans ce poème une rencontre dans une sombre caverne de l’Hadès, celle d’un soldat allemand (baryton) accueillant un soldat anglais (ténor) nouveau venu. Au délà de tout identification des nationalités respectives, "Strange Meeting" se termine ainsi :

I am the enemy you killed, my friend. (Je suis l’ennemi que tu as tué, mon ami.)

I knew you in this dark ; for so you frowned (Je t’ai rencontré dans la nuit, le regard froncé,)

Yesterday through me as you jabbed and killed. (Hier, quand tu m’as assailli et tué.)

I parried ; but my hands were loath and cold. (Je voulais en faire autant, mais mes mains froides ont refusé.)

Let us sleep now. (Dormons maintenant.)

Ce requiem, à l’instar du Requiem allemand de Brahms, est un texte mis en forme par son compositeur, avec la même intensité dramatique et la même beauté. Et tout d’abord, la solennité de la liturgie traditionnelle latine qui atteint le sommet de compassion et de supplication dans le Recordare chanté par le choeur d’enfants, anges de consolation s’il en est, et le Lacrymosa chanté par la soprane ; le drame, lui, est créé par la juxtaposition quasi concordante des sections de la messe et des poèmes d’Owen. Cette concordance de principe cache un terrible désarroi de l’Homme face à l’absence d’intervention divine ; elle atteint aussi un sommet lors du Quam olim Abrahae, quand Dieu accordait son alliance à Abraham, et le poème d’Owen : So Abram Rose qui évoque cette alliance perdue qui aboutit, non au sacrifice d’Isaac, mais à celui de milliers de vies. L’émotion est maintenue jusqu’à la fin, lorsque le ténor, censé représenter le soldat anglais, et le baryton, censé représenter le soldat allemand, mourront côte à côte.

Pears et Britten ont dédicacé le War Requiem aux suivants :

- Roger Burney Sous-lieutenant, Royal Naval Volunteer Reserve

Ami de Pears, ancien choriste de la cathédrale St Paul, il est mort à bord du sous-marin Surcouf français en 1942.

- Piers Dunkerley Capitaine, Royal Marines

Un des amis les plus proches de Britten, a pris part au débarquement de Normandie en 1944. À la différence des autres dédicataires, il a survécu à la guerre mais s’est suicidé en Juin 1959, deux mois avant son mariage, suite à une longue maladie.

- David Gill Matelot, Royal Navy

Tué dans une action en Méditerranée.

- Michael Halliday Lieutenant, Royal New Zealand réserve de volontaires

Ami de Britten à l’école de South Lodge, il a été porté disparu au début de 1944.

Wilfred Owen

Wilfred Owen a combattu pendant la Première Guerre mondiale, peut-être la plus horrible de toutes les guerres menées à ce jour. En 1915, il s’enrôle comme officier dans un régiment appelé l’Artists’ Rifles, malgré ses convictions pacifistes. Une visite dans un hôpital le convainc en effet de la nécessité d’un engagement personnel dans le conflit. En conséquence, Owen subi un conflit au sein de lui-même. En 1917, dans une lettre adressée à sa mère, il se demande : « Ne suis-je pas un objecteur de conscience de moi-même, et avec quelle ardente conscience ?".

Owen a écrit ce cycle de poèmes utilisé dans le War Requiem à un médecin dans un maison de repos en France, juste avant d’être envoyé pour une période de cinq mois à l’hôpital militaire de Craiglockhart en Écosse, afin de soigner un lourd traumatisme et diverses blessures. Les poèmes sont extrêmement amers, d’une tristesse rare, pour tous les morts.

La Première Guerre mondiale était une guerre d’artillerie, et les soldats ont lutté avec de monstrueux canons qui pouvaient projeter deux mille projectiles sur 30 milles : « dans la bataille de la Somme en 1916, des bombardements assourdissants ont été poursuivis sans relâche pendant sept jours et sept nuits. Les énormes obus de rupture ravageaient la terre avec violence, lançant arbres, rochers, boue, et débris humains, des torses et des centaines de pieds en l’air ».

En Octobre 1918, Owen a reçu la Croix militaire. Le 4 novembre, une semaine avant la fin de la guerre, Wilfred Owen, a été tué par balle. Il avait 25 ans. Ses proches ont appris son décès quelques heures après que les cloches aient sonné la signature de l’armistice.

Si la poésie de Wilfred Owen a tout le succès qu’elle mérite dans le Royaume Uni, il n’est malheureusement pas très connu en France.

Extraits sonores

- http://www.virginmega.fr/musique/album/simon-rattle-britten-war-requiem-bliss-morning-heroes-103112034,page1.htm

- http://www.passionato.com/release/chan8983-84/britten-war-requiem-op66-sinfonia-da-requiem-op20/

- http://www.youtube.com/watch ?v=—ZTC9Tawg4

Liens complémentaires

- Très belle video sur l’oeuvre : 

http://209.85.135.104/translate_c ?hl=fr&sl=en&tl=fr&u=http://www.brittenpears-warrequiem.moonfruit.com/&usg=ALkJrhj3jIfaHwUchrnzY_IsEbhRSjiNSA

- Texte du War Requiem, avec une courte ananlyse (en anglais) :

http://www.cco.caltech.edu/ tan/Britten/reqtext.html

- Un entretien avec Benjamin Britten :

http://www.abeillemusique.com/dossiers/dossier.php ?nomdossier=britten&rg=1&tit_dos=Benjamin%20Britten

- A propos du War Requiem de Britten, article de Chia Han-Leon (en anglais) :

http://www.inkpot.com/classical/brittenwar.html

- Une collaboration historique : Guillini et Britten (par Philip Reed) :

http://www.abeillemusique.com/dossiers/dossier.php ?nomdossier=giulini&rg=1&tit_dos=Carlo%20Maria%20Giulini

- Essai sur l’homosexualité de Britten Quelques variations sur l’amour des enfants (Jean-Paul MATOT) :http://www.cairn.info/load_pdf.php ?ID_ARTICLE=CPC_019_0119

Liens utilisés pour cet article

- http://www.its.caltech.edu/ tan/Britten/

- http://209.85.135.104/translate_c ?hl=fr&sl=en&u=http://www.jsonline.com/story/index.aspx%3Fid%3D330677&prev=/search%3Fq%3Dbritten%2Bwar%2Brequiem%26start%3D10%26hl%3Dfr%26client%3Dfirefox-a%26rls%3Dorg.mozilla:fr:official%26hs%3DelO%26sa%3DN&usg=ALkJrhgGGInPf1jchDFpIprVvphuCMYN8w

- http://www.france.qrd.org/culture/musique/britten/requiem.html)

- http://www.operavenir.com/britten.html

    Joëlle KUCZYNSKI
    Responsable administration de l’école à distance POLYPHONIES. Conception et réalisation des supports formation. Responsable rédaction du Mensuel. Chanteuse.
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