Une fois n’est pas coutume, c’est Jean-Luc, votre cher professeur que j’interviewe dans cette tribune, à propos de la création de son quatuor "Le récit intérieur", au festival de Saintes en juillet dernier.
Une fois n’est pas coutume, c’est Jean-Luc, votre cher professeur que j’interviewe dans cette tribune, à propos de la création de son quatuor , "Le récit intérieur" au festival de Saintes en juillet dernier.
Dis-nous Jean-Luc qui est tout d’abord à l’origine de ce projet d’écriture pour quatuor à cordes ?
En décembre 2006, le violoncelliste Jean-Nicolas Richard m’a proposé d’écrire une pièce pour le quatuor Kadenza dont il est membre. Je connaissais bien Jean-Nicolas. Il a déjà participé à deux de mes créations à Saintes et en cela il est déjà familier de mon écriture. Composer pour son quatuor était un projet que nous avions déjà abordé mais un fait nouveau était advenu. Le quatuor Kadenza avait proposé sa candidature au Festival de Saintes 2007. Je devais donc donner ma réponse rapidement pour que cette pièce puisse figurer à leur programme. J’acceptais avec enthousiasme car le quatuor Kadenza, que j’avais plusieurs fois entendu en concert, est une excellente formation composée de professionnels passionnés ayant toujours à cœur d’approfondir leurs interprétations. Le quatuor est formé d’Arnaud Chataigner et Matthias Gerry aux violons, de Béatrice Dagre-Hurteaud à l’alto et de Jean-Nicolas Richard au violoncelle. L’idée d’être joué au Festival de Saintes, un des plus importants festivals français, était également très séduisante. Mais l’argument décisif était pour moi l’incorporation éventuelle de cette pièce à venir au répertoire de Kadenza. Elle serait jouée plusieurs fois et par la suite enregistrée en studio lorsque l’interprétation serait au point. Nous sommes rapidement "accordés" sur une composition d’une quinzaine de minutes au minimum, que Kadenza soit présent au festival ou non. Courant janvier, Jean-Nicolas m’a annoncé qu’ils avaient été sélectionnés.
Y a-t-il eu des contraintes particulières pour cette composition ?
Le Festival se déroulant mi-juillet, le délai pour écrire cette pièce était assez bref. Car, outre l’écriture de la pièce, il fallait prévoir suffisamment de temps pour les répétitions. Nous avons donc convenu que j’écrirai ce quatuor mouvement par mouvement et dès que l’un d’eux serait achevé, j’en fournirais les différentes parties instrumentales. Ce n’est pas ma manière habituelle de travailler mais cette solution leur a permis de gagner beaucoup de temps.
Ils devaient probablement travailler d’autres pièces pour ce concert ?
En effet, le programme comportait également deux autres quatuors. Le n°8 de Dimitri Chostakovich déjà à leur répertoire. J’aime d’ailleurs beaucoup leur interprétation. Elle est juste et forte. Et ils devaient également jouer le premier quatuor de Leos Janaček, « la sonate à Kreutzer », qu’ils ont découvert en même temps que le mien, d’ailleurs !
Ecrire le quatuor mouvement par mouvement a-t-il changé ta manière de composer ?
Oui. Dans ce cas précis, je devais achever définitivement un mouvement alors que d’autres n’en étaient qu’au stade de l’esquisse, ce qui est contraire à mes habitudes : j’aime commencer et travailler plusieurs mouvements en même temps. Cela me permet de garder la possibilité d’un dernier contrôle sur les mouvements et même sur la forme générale de la pièce, tant que celle-ci n’est pas considérée comme achevée. Mais ici, ne pouvant plus intervenir après coup sur la forme générale, j’ai décidé d’une forme unique pour les cinq mouvements.
Concrètement, comment as tu travaillé ?
Comme toujours, je commence à faire un plan dans lequel je précise les mouvements, les caractères, l’atmosphère, les couleurs que j’aimerais obtenir pour chaque mouvement. Parfois, il me vient aussi des images, des idées musicales ou extra-musicales. Je note tout cela. Je décide aussi du nombre de mouvements, de leur tempo et de leur durée. Je fais aussi des choix. Ici, j’ai plus insisté qu’auparavant sur la répétition des éléments. Ce travail de préparation est très important car c’est là que s’établit la cohérence de l’ensemble des mouvements et donc de la pièce. C’est aussi le moment où je réfléchis à une trame, un déroulement des mouvements comme si j’écrivais une histoire ou un récit.
D’où le nom de la pièce « Le récit intérieur » sans doute...
Tout à fait. Mais pour autant, beaucoup de mes pièces pourraient s’appeler ainsi ! Ce titre exprime totalement ma conception de la composition.
Parle-nous un peu des délais à tenir
Le premier des mouvements achevé a été fourni en février. Je travaillais au rythme d’un mouvement par mois, et le dernier a été achevé fin juin comme nous l’avions prévu. Les plus difficiles ont été donnés les premiers et les plus faciles en dernier. La pièce complète dure au total dix neuf minutes, au lieu des quinze prévus.
Quelle est la particularité de l’écriture d’un quatuor ?
D’un point de vue de la composition, le quatuor à cordes est un genre à part entière. Il y a quatre instruments avec une sonorité homogène mais nécessairement plus limitée qu’un ensemble formé de plusieurs familles d’instruments. La polyphonie y est donc prééminente ce qui convient particulièrement à mon style d’écriture. Mais en même temps, il faut varier le plus possible les sonorités des cordes qui offrent malgré tout beaucoup de ressources. D’ailleurs les cordes sont une famille d’instruments pour laquelle j’aime beaucoup écrire.
Comment s’est passé votre collaboration ?
Tous les musiciens ont eu leurs parties séparées, le conducteur et un fichier mp3 pour travailler individuellement. Le fichier audio n’est pas indispensable mais il permet un gain de temps lorsque comme ici les délais sont courts. Les musiciens peuvent ainsi avoir une idée générale de la pièce et aussi des autres parties instrumentales. Je les ai rencontrés après une première série de répétitions et leur ai présenté ma vision de la pièce. Nous avons pu ensuite affiner leur interprétation qu’ils ont développée aux répétitions suivantes.
Il y avait deux concerts au programme. Comment se sont ils passés ?
Les musiciens ont fourni un très gros travail et ont été prêts dans les temps. Ces concerts avaient lieu dans de belles églises romane de Saintonge avec un bon accueil du public, plus habitué à la musique baroque et classique que contemporaine. « Le récit intérieur » était d’ailleurs la seule création du festival cette année. Stephan Maciejewski, directeur du festival était présent au second concert et nous a exprimé sa satisfaction.
Ce quatuor sera donc encore joué ?
En effet, comme prévu il sera encore au programme du quatuor Kadenza. C’est la période la plus intéressante qui commence car les musiciens vont pourvoir approfondir leur interprétation. En effet, il faut un certain nombre d’exécutions en public d’une œuvre pour que les musiciens la ressentent profondément. Nous allons donc collaborer à nouveau. Ce travail sera très enrichissant pour les musiciens et moi-même. Un enregistrement au studio de Rochefort est prévu à la suite.
Eh bien, ce sera l’occasion d’en faire écouter quelques extraits dans un de nos prochains Mensuel !!