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Dossier compositeur : Henryk Mikolaj Górecki

L’oeuvre de Górecki couvre une très large variété de styles mais elle est en général très proche du minimalisme. Il puise son inspiration essentiellement dans la culture traditionnelle polonaise et son histoire. Ses oeuvres sont pour la plupart simples, avec des motifs qui se répétent de nombreuses fois et des mélodies souvent empruntées à la musique populaire des différentes régions de Pologne, avec une préférence très marquée pour celle des montagnards de la région de Podhale. Górecki est surtout connu pour sa Symphonie n°3 "Symfonia Pieśni Żałosnych", appelée Symphonie des Chants plaintifs en Français. Lire l’article

Biographie

1952 : Il commence les études régulières de musique à l’Ecole Intermédiaire de Musique à Rybnik à la faculté de formation pédagogique.

1955-60 : Il étudie la composition dans la classe de Boleslaw Szabelski à l’Ecole Nationale Supérieure de Musique (actuellement : Académie de Musique) à Katowice. Compose les Chants sur la joie et le rythme, op 7, pour deux piano et un orchestre de chambre. Il débute la même année au 2ème Festival d’Automne de Varsovie, où est exécutée son Epitaphe, op 12 pour choeur mixte et un ensemble instrumental (1958). Grâce à cette oeuvre, Górecki gagne la réputation d’un des compositeurs avant-gardistes les plus radicaux en Pologne.

1958 : le 27 février, a eu lieu le concert de compositeur de Gorecki, le premier concert monographique dans l’histoire de cette école, cinq de ses oeuvres ont été exécutées pour la première fois, entre autre la première version des Chants.

1960 : Il achève ses études brillamment, remportant la plus haute distinction. Ses Monologhi op 16 pour soprano et trois ensembles instrumentaux remportent le premier prix au concours des Jeunes Compositeurs de l’association des Compositeurs Polonais. Le 21 septembre, pendant le 4ème Festival d’Automne, sont présentés Scontri(Collisions) op 17 pour orchestre, en provoquant un grand émoi parmi les auditeurs. Avec ses tonalités qui choquent par leur modernité, cette oeuvre est devenue le symbole de l’avant-garde de la musique polonaise.

1961 : Górecki continue ses activités musicales à Paris, où sa 1ère Symphonie « 1959  » op. 14 remporte le 1erI prix à la 2ème Biennale des Jeunes. Il rencontre Pierre Boulez, et à Cologne Karlheinz Stockhausen.

1965 : Górecki travaille à PWSM (Ecole Nationale Supérieure de Musique) à Katowice.

1967 : Son Refrain op. 21 pour orchestre est en 3ème place à la Tribune Internationale des Compositeurs UNESCO à Paris.

1968 : Górecki est chargé des cours à PWSM. Sa Cantate op. 26 pour orgue reçoit le 1er prix au Concours des Compositeur de Szczecin.

1972 : Il est nommé professeur adjoint à PWSM, et enseigne le solfège, l’instrumentation et la composition.

1973-74 : Grâce à l’aide de la Deutscher Akademischer Austauschdienst, il réside à Berlin. Son op 29 Ad Matrem pour soprano solo, choeur mixte et orchestre reçoit le 1er prix à la Tribune Internationale des Compositeurs UNESCO.

1975 : Górecki est nommé recteur de PWSM, fonction qu’il exercera pendant quatre ans.

1976 : Il jette un nouveau défit avec la 3ème symphonie "Symphonie des chants plaintifs", interprétée pour la première fois pendant l’Automne de Varsovie : Gorecki adopte une position radicalement différente, en simplifiant son langage et en réduisant ses moyens d’expression. Certains trouvèrent le résultat génial, d’autres ont considéré le compositeur avant-gardiste « converti », un dilettante.

1977 : Il devient professeur titulaire à PWSM

1992 : la 3ème symphonie se trouve en tête des hit-parades américains et anglais ; le monde entier parle de Górecki, grâce à l’interprétation de la chanteuse américaine Dawn Upshaw, et l’ensemble London Sinfonietta dirigé par un directeur peu connu, David Zinman.

1994 : l’Université de Varsovie octroie à Górecki le titre de docteur honoris causa.

Il est marié avec la pianiste Jadwiga Ruranska, père de deux enfants : sa fille Anna est pianiste et son fils Mikolaj - compositeur !

- Catalogue des oeuvres : voir Wikipedia

Le compositeur

Henryk Mikolaj Górecki appartient à cette génération de compositeurs polonais (qui comprend également son contemporain Penderecki) bien placée pour profiter au maximum du dégel post-stalinien des années 50. Dans sa jeunesse (1955-59) Górecki passe de la vitalité exubérante et dynamique des Songs of Joy and Rhythm, op.7 (révisées en 1960), aux œuvres expérimentales s’inspirant davantage de Webern et Boulez. Par la suite l’évolution de son style musical témoigne d’une recherche constante de l’expression de ses racines musicales.

Diplômé de l’Académie supérieure de musique de Katowice et remarqué en 1960 lors du Festival de Varsovie, Gorecki ne tarde pas à manifester la crainte révérentielle que ne cessent de lui inspirer le passé musical de la Pologne, son Eglise, sa culture populaire, pour lui fondements inébranlables de sa propre identité et de celle de son pays, et patrimoine inaliénable. De l’énergie enflammée et flamboyante de Scontri aux lamentations pensives de son oeuvre la plus connue : La 3e symphonie, ainsi que les œuvres les plus récentes de musique de chambre telles que le quatuor à cordes : Already it is Dusk op.62 (1988), et Good Night (1990) écrit à la mémoire de Michael Vyner, toutes attestent de l’intense conscience que le compositeur a de ses racines. L’impact directement émotionnel de sa musique en découle.

Górecki a puisé à diverses sources pour créer ce monde si particulier. Les éléments populaires et religieux sont à la fois abstraits (texture granitique, amples toiles de fond, lenteur des tempi) et spécifiques (chants populaires et textes provenant - pour la plupart - des Tatras chers à son cœur ; hymnologie modale et réminiscences de musique polonaise ancienne). Alors que dans sa jeunesse Górecki avait transformé ces thèmes jusqu’à les rendre méconnaissables, dans les années 70 il fait confiance à leur authentique simplicité et les expose tels qu’ils sont. C’est le cas des hymnes marials et des mises en musique de chants populaires récents. A remarquer aussi, parfois, de brèves évocations de motifs musicaux ou de progressions harmoniques des compositeurs dont il se sent proche : Bach, Chopin, Szymanovski par exemple. Allusions et citations font partie intégrante de ce flux musical, de cette vision personnelle, qui le distinguent de façon si frappante de ses contemporains et compatriotes.

Ne pas confondre toutefois la sobriété de son style avec le minimalisme de certains compositeurs américains et européens occidentaux. Typique de la musique de l’Europe orientale (elle caractérise aussi Arvo Pärt le compositeur esthonien), Górecki lui a apporté de remarquables raffinements. Tenu en très haute estime dans sa Pologne natale, Górecki commence maintenant à s’imposer à l’ouest comme un compositeur de grande envergure, dont la musique passe au-dessus des frontières culturelles et politiques.(source : © Adrian Thomas, 1990)

Gorecki fut très proche de Jean-Paul II, le rejoignant à Cracovie et à Varsovie sur bien des points de son combat. Sa première symphonie fut un manifeste de 1959 pour le renouvellement de la Pologne dans sa longue attente vers une liberté espérée. Un espoir déçu qui s’exprimera dans sa deuxième symphonie de 1972 qui veut apporter une réponse puissante, par la force des textes sacrés extraits de certains psaumes et des fragments des écrits de l’astronome polonais Copernic qui ouvrent sur de vastes espaces de liberté et à partir desquels Gorecki construit une de ses arches d’espoir, « un espoir né du désespoir mais qui n’est pas pour autant désespéré ».

Interviews

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Gorecki avec Maja Trochimczyk ;Katowice, avril 1998. Photo : Mme Górecka

"Composer est une affaire terriblement personnelle : surmonter les difficultés, l’acquisition de connaissances, le choix d’un certain ordre, une certaine méthode de construction d’une nouvelle pièce. Ceci est important. Vous devez choisir votre chemin, celui que vous jugez le meilleur, dans une infinité de possibles. Que dois-je faire ? Dans le passé, j’élaborais des cadres détaillés pour mes morceaux. Je préparais et détaillais la structure avant de commmencer à écrire. Cela a commencé à partir de la Première Symphonie ; également dans Scontri, Monologhi, Element I ; j’ai cherché différentes techniques pour structurer mes pièces. Plus tard, j’en ai eu une connaissance précise - j’avais une technique, et alors d’autres idées apparaissaient... Permettez-moi de souligner ceci : vous les étudiants vous voulez en savoir trop. Bien sûr, il est important de savoir comment une pièce est construite et comment elle a été faite. Mais ensuite ce mécanisme, cette architecture cesse d’être important en soi, le compositeur pense les formes dans lesquelles la musique sera « versée » [...] La musique commence avec le son. Elle est toujours fondée sur une association sonore, un thème musical ou une structure. Maintenant, il est de bon ton de dire qu’il n’y a pas de thèmes, mais ils continuent d’exister. Parfois, j’ai même traité une série de 12 tons comme un thème ! Quand je compose, je commence toujours par introduire un peu d’ordre. J’ai travaillé beaucoup à la préparation de mes morceaux, bien avant de commencer à les écrire. De cette façon, j’ai étudié et analysé les possibilités offertes par mon matériau. Toutefois, de nombreuses pièces que j’avais commencé n’ont jamais été terminés. J’ai seulement ordonné mon matériau ".

[Górecki, entretien non publié avec Trochimczyk, 1998]

« Je pense que la musique est un des domaines dont les gens ont le plus besoin, et que son importance dépend de la manière dont on la reçoit. Chaque personne a besoin d’être préparée à "utiliser " la musique. Non seulement la musique, mais aussi la littérature, la peinture, la sculpture, le film [...] Tarkowski dit que l’art est prière. C’est quelque chose que je souligne également. Mais il est difficile de le comprendre : on doit mûrir cette pensée. Beaucoup pense que prier consiste à réciter le « Je vous salue Marie » - mais on peut réciter "Je vous salue Marie" autant de fois que l’on veut, sans que cela ne devienne une prière. Olivier Messiaen a dit lors d’une réunion à Katowice qu’il était un homme de prière. Mais que fait-il pour autant ? Il écrit ses notes, il écoute ses oiseaux. Et c’est censé être la prière ? "

[Górecki, interviewé de Maja Trochimczyk, 1997]

La 3ème symphonie (opus 36 -1976)

Créée en 1977 au Festival de Royan, la 3e Symphonie de Gorecki, appelée « Symphonie des Chants plaintifs » en français, connut un destin tout à fait singulier. Górecki ne pouvait s’imaginer qu’elle deviendrait un des plus grands succès des années 1990. Il s’agit d’une longue mélodie élégiaque placée sous le signe du deuil. D’une écriture néo-modale avec des motifs très simples, elle en dérouta d’abord plus d’un. Jusque-là avant-gardiste, Gorecki simplifie alors son langage en réduisant les moyens d’expression. Elle fut boudée ensuite, puis fit un retour fracassant et inattendu en 1992 lorsque son enregistrement par la London Sinfonietta avec la chanteuse américaine Dawn Upshawn sera propulsé en tête des hit-parades anglais et américains et y restera pendant plusieurs semaines. Durant la même époque la radio britannique "Classic FM" la diffusera en boucle à la demande de ses auditeurs.

Toutes interprétations confondues, le disque se vendra à plus de 700 000 exemplaires. Cette oeuvre a assuré la notoriété d’Henryk Górecki auprès d’un public qui dépasse celui des amateurs de musique contemporaine. Par exemple le groupe phare du Post-rock Godspeed You ! Black Emperor a longtemps utilisé comme titre alternatif de son morceau Moya le nom du compositeur : l’enchaînement des accords y est similaire au premier mouvement de la troisième symphonie.

Composée de 3 mouvements lents, avec ses répétitions obstinées qui, de mouvement en mouvement, disent l’infirmité des vivants au contact des morts, la Troisième Symphonie parle si bien du deuil qu’elle semble la pure matérialisation de ce sentiment obscur et lancinant. On pourrait fort bien trouver l’œuvre facile si elle ne reposait que sur l’archétype de la répétition - allusion à peine dissimulée au mécanisme obsessionnel. Mais il y a bien plus. D’abord la place laissée à la voix qui, pareille au bois mort sur l’océan liquide, flotte à la dérive. Ensuite, les textes poétiques, très touchants et très simples, qu’il s’agit de suivre en écoutant la musique.

LES MOUVEMENTS

1. Lento - sostenuto tranquillo ma cantabile. Le premier mouvement s’inspire d’une lamentation des Chants de Lysagora du monastère de la Sainte Croix, écrits au XVe siècle.

« Mon fils, mon elu et mon bien-aimé

Partage tes blessures avec ta mère

Cher fils, comme je t’ai toujours porté dans mon coeur,

Et t’ai toujours servi fidèlement,

Parle à ta mère pour la rendre heureuse

Bien que tu me quittes déjà, mon espoir chéri »

2. Lento e largo - tranquillissimo Le deuxième mouvement est une prière, Zdrowas Mario, à la Vierge Marie inscrite par une prisonnière, Helena Wanda Blażusiakówna, sur le mur de sa cellule no 3, dans le sous-sol du « Palais », siège de la Gestapo à Zakopane. Sous la signature, on peut lire "18 ans, emprisonnée depuis le 26 Septembre 1944" :

Maman, ne pleure pas,

Toi, chaste Reine du Ciel,

Soutiens-moi toujours.

Je te salue Marie.

3. Lento - cantabile semplicez Le troisième mouvement reprend un chant populaire écrit dans le dialecte de la région d’Opole.

« Où est-il allé

Mon cher fils ?

Peut-être que pendant l’attaque

L’ennemi cruel l’a tué.

Ah, vous, mauvaises gens,

Au nom du Dieu très Saint,

Dites-moi, pourquoi avez-vous tué

Mon fils ?

Jamais plus

Je n’aurai son soutien,

Même si je pleure

Toutes les larmes amères de mes vieux yeux,

A faire un autre fleuve de l’Oder,

Elles ne me rendront pas

Mon fils.

Il est dans sa tombe

Et je ne sais où,

Bien que je continue à questionner chacun,

Partout

Peut-être que le pauvre enfant

Se trouve dans un fossé pierreux

Au lieu d’être

Couché dans son lit chaud.

Oh, chantez-lui

La petite chanson des oiseaux du bon Dieu

Pendant que sa mère

Cherche en vain.

Et toi, le Dieu des petites fleurs,

Fleuris-le tout autour

Pour que mon fils

S’endorme heureux. »

- http://www.lastfm.fr/listen/artist/Henryk%2BG%25C3%25B3recki/similarartists

Liens utiles (compléments) :

- Une conversation avec Bruce Duffie (traduit de l’anglais) : http://74.125.93.104/translate_c ?hl=fr&sl=en&u=http://www.bruceduffie.com/gorecki.html&prev=/search%3Fq%3DHenryk%2BMikolaj%2BG%25C3%25B3recki%26hl%3Dfr%26client%3Dfirefox-a%26rls%3Dorg.mozilla:fr:official%26hs%3D01B&usg=ALkJrhg283oatDVC2ryBJBIYJeDLH6UoLw

- Dicographie sélective : euvres conseillées pour un premier contact avec la musique de Gorecki http://www.newconsonantmusic.com/resources/ml_gorecki.html Toute l’oeuvre de Gorecki sur le Polish Music Center http://www.usc.edu/dept/polish_music/VEPM/gorecki/g-wrks-f.html

Liens utilisés pour cet article

- http://www.boosey.com/pages/shop/composer/composer_main.asp ?composerid=2732&langid=3&ttype=INTRODUCTION&ttitle=In%20Focus&id=

- http://lapetite-pologne.com/includes/languages/french/musique_contemporaine_polonaise.html

- http://www.culture.pl/fr/culture/artykuly/os_gorecki_henryk_mikolaj

- http://www.esprit-et-vie.com/article.php3 ?id_article=1271

- [http://brahms.ircam.fr/composers/composer/1474/

- http://fr.wikipedia.org/wiki/Henryk_G%C3%B3recki http://www.mediatheque-rueilmalmaison.fr/musique_cinema_arts_et_loisirs/dossiers_musicaux/la_musique_polonaise_article543.html ?artsuite=9

    Joëlle KUCZYNSKI
    Responsable administration de l’école à distance POLYPHONIES. Conception et réalisation des supports formation. Responsable rédaction du Mensuel. Chanteuse.
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