Emploi de la sixte en mélodie
"Il est naturel pour moi de chanter des intervalles de sixtes ; pourtant vous les considérez comme difficiles dans les chansons populaires, et pour cette raison, vous demandez de ne pas les utiliser dans les exercices de mélodie. Il est vrai que, habitué à chanter en chorale depuis de nombreuses années, je ne ressens aucune difficulté dans cet intervalle..." Lire l’aticle
Je reprendrai ici la constatation d’un de vos confères avancé en composition (alias "Turbochaussure" sur le forum des élèves) qui explique très justement que "la sixte est un grand intervalle qui, mal utilisé, peut créer une césure dans la mélodie, une cassure qui fait penser à l’introduction d’une nouvelle voix polyphonique. C’est un intervalle très expressif, et il y a besoin de savoir maîtriser ses effets pour l’utiliser. Une sixte mal amenée peut sonner très mal, tandis qu’un mouvement conjoint sonnera la plupart du temps bien." Il a tout à fait raison : je m’explique.
Je préciserai tout d’abord que ces mélodies sont destinées à la voix et que la difficulté d’une sixte mélodique est réelle si l’on n’est pas coutumier de la pratique du chant en professionnel ou amateur. Le langage musical avec lequel nous réalisons nos exercices de mélodie est, non pas celui de des chansons dites populaires de l’industrie musicale ;), mais celui du langage musical populaire de tradition orale. C’est à dire le répertoire de chansons anciennes qui s’est transmis oralement sur plusieurs générations. Cette transmission orale polit les chansons en modérant tout ce qui est difficile à chanter (ici comme ailleurs, nous retrouvons la règle de l’effort minimum !), et notamment les grands intervalles. En effet, ces chansons doivent pouvoir être chantées par tous, enfants, adultes, musiciens ou non... C’est pourquoi vous trouverez très peu de sixtes dans les chansons populaires traditionnelles.
Pour n’importe quel chanteur amateur ou professionnel, la sixte n’est pas si difficile pour peu que l’on travaille le chant bien entendu. Mais en employant cet intervalle indifféremment, on détourne l’objectif pédagogique proposé dans ces exercices : vous sensibiliser à l’expressivité de chaque intervalle, pour les utiliser tous à bon escient dans votre vocabulaire musical personnel.
Pour quelle raison Jean Robert a-t-il élaboré sa pédagogie sur la chanson populaire ? Parce qu’en élaborant ainsi nos mélodies, nous assimilons la différence entre ce qui est facile mélodiquement et ce qui ne l’est pas. Des automatismes concernant les intervalles se mettent en placent. Vous saurez ainsi doser votre expression lorsque vous composerez. En choisissant d’employer une sixte, vous évaluerez avec précision et expérience son expressivité.
Alors, vous me répondrez, Didier : "Certes, je suis bien d’accord mais réduire une sixte à un intervalle conjoint donne souvent une mélodie sans grand relief".
Bien construire une mélodie conjointe vous donne l’assurance de pouvoir être chanté mais aussi joué sans trop de difficultés par tous les instruments (dans les limites de leur possibilités particulières évidemment). C’est une technique essentielle en composition. Car soyez rassuré : cette restriction faite dans les exercices de mélodie sera bien évidemment levée en composition. Ainsi non seulement vous serez à même d’écrire habilement une mélodie conjointe, mais aussi des sixtes véritablement expressives et employées à bon escient !
Vous citez, à juste titre Didier, trois chansons populaires qui commencent par de grands intervalles :
- Malbrough s’en va en guerre (sixte majeure ascendante)
- Il était un petit navire (sixte majeure descendante)
- Maman les petits bateaux (septième mineure ascendante)
Vous noterez que ce sont toujours des notes pivot en A. Il s’agit de la seule sixte possible entre notes pivot en A, celle qui est présente entre la dominante et la médiante. Il est vrai qu’en écriture classique, les intervalles difficiles ou les très grands intervalles, sixtes, septièmes voire neuvième ne manquent pas, mais justement, ils exigent des interprètes de métier !
Je laisse à Turbochaussure le mot de la fin : "Personnellement les premières musique que j’ai apprécié étaient fort peu polyphoniques et plutôt remplies de dissonances et de maladresse, ce qui fait que j’ai eu un travail de conscience à faire en écoutant du Bach, à me rendre compte que cette musique n’était pas plate au possible et ennuyeuse. Je précise que maintenant Bach est mon compagnon musical, je n’écoute presque plus que ça, et je n’ai jamais pris autant de plaisir à écouter de la musique.
Donc la sixte : oui, mais avec modération et précautions (et pas avant de passer son Bach :)"
(Merci à Didier et TurboChaussure pour leur participation active à ce débat !)
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article publié le jeudi 6 février 2014 et lu 5561 fois.
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