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Karol SZYMANOWSKI : Stabat Mater

Nous avons réécouté une œuvre majeure du patrimoine national polonais, celle du Stabat Mater de Szymanowski, dont le musicologue Henri Prunières nous dit qu’elle "restera une des plus belles pages de musique religieuse des temps modernes", et Roland de Candé d’affirmer "Szymanowski fut le plus grand musicien polonais après Chopin, créateur d’un art symphonique polonais et chef de l’école polonaise moderne" Lire la suite

BIOGRAPHIE

né à Tymoszówka, Ukraine, 1882 — † à Lausanne 1937)

 De 1882 à 1905 : naissance de Karol, le 6 octobre à Tymoszówka en Ukraine, d’une famille polonaise de propriétaires terriens. Il commence ses études musicales avec son père et sa tante, excellents amateurs, les poursuit en autodidacte et les termine avec Noskowski à Varsovie. Là, il se lie d’amitié avec le chef d’orchestre G. Fitelberg et le pianiste A. Rubinstein (qui deviennent les défenseurs actifs de son oeuvre) et milite au sein du mouvement musical "Jeune Pologne", qui veut réagir contre le traditionalisme et l’inertie artistique polonaise, et introduire dans la musique polonaise les dernières innovations européennes. Ces musiciens ont leur quartier général à Berlin : Szymanowski s’y établit.

 De 1906 à 1911 : il étudie la musique de Wagner, Reger et Stauss, le postromantisme allemand, dont les influences sont très sensibles dans sa Première Symphonie.

 De 1912 à 1918 : Se heurtant à l’incompréhension du public polonais, il décide de vivre quelque temps à Vienne, où son ami Fitelberg est devenu chef d’orchestre de l’Opéra. Il y entend Petrouchka de Strawinsky et les dernières œuvres de Debussy et Ravel : les unes et les autres le fascinent, et le détournent radicalement de ses sources germaniques, et même de Scriabine dont le culte avait inspiré sa 2ème symphonie. Il abandonne alors l’harmonie et l’orchestration postromantique pour s’attacher à la couleur sonore impressionniste.

 De 1919 à 1928 : Szymanowski voyage beaucoup. Il séjourne en Italie et en Afrique du Nord, voyages qui l’influencent notamment dans l’écriture du livret de son opéra Le Roi Roger (Roger de Hauteville), mais également en France. Cette fascination pour l’Orient et la culture méditerranéenne se retrouve également dans sa nouvelle Efebos où il décrit ses amours masculines, et son amour pour le jeune Boris Kochno, écrivain et librettiste français d’origine russe qui rejoindra plus tard les ballets de Serge de Diaghilev et Coleman Porter. Szymanowski quitte définitivement l’Ukraine pour Varsovie, où il est nommé en 1926 directeur du Conservatoire, après avoir rejeté une offre de directeur au Conservatoire du Caire. Il veut introduire des réformes profondes et moderniser les programmes. Son intérêt pour pour la musique des montagnards des Tatras, et la musique populaire polonaise en général, amène un tournant stylistique important : s’ouvre alors la période nationaliste de son œuvre, qui donnera notamment ses mazurkas et son Stabat Mater, période qui commence avec la résurrection de l’État polonais après 1918. "Je suis en train de cristalliser en moi les éléments de l’héritage tribal", dit-il alors.

 De 1929 à 1937 : Des conflits d’opinion concernant ses positions pédagogiques, jugées trop modernistes, obligent Szymanowski à donner sa démission. Consommateur invétéré de tabac et d’alcool, il multiplie les séjours obligés dans les sanatoriums européens, et finalement s’installe à Zakopane, dans la villa "Atma" alors que son état de santé empire, lui qui est tuberculeux depuis son enfance. Jouissant maintenant d’une grande renommée en Europe, Szymanowski présente ses oeuvres lors des tournées de concerts en France, Belgique, Hollande, Grande Bretagne, Italie, Ancienne Yougoslavie, Bulgarie, Allemagne, Suède, Norvège, au Danemark et en Union soviétique. Il fait alors la connaissance de Witold Lutoslawski ; se sera la seule rencontre des deux plus grands compositeurs polonais du XXème siècle. Malgré des traitements prolongés, en Pologne puis à Cannes, Grasse, Davos et Lausanne, la maladie l’emporte le 29 mars.

A PROPOS DU COMPOSITEUR

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Atma, résidence de Szymanowski à Zakopane

Personnalité la plus marquante du groupe "Jeune Pologne", Robert Bernard le considère incontestablement comme le plus grand musicien que la Pologne ait produit en dehors de Chopin. Il souligne l’extrême raffinement harmonique du compositeur, et sa faculté de créer des ambiances sonores d’une mystérieuse fluidité. Comme Chopin, et malgré Chopin, nous dit l’auteur, Szymanowski a retrouvé le secret de la musique et de l’âme polonaise.

D’ailleurs, les rapports entre ces deux compositeurs polonais sont complexes. "Cas singulier que ce musicien qui s’est toujours gardé d’imiter Chopin, qui, presque systématiquement, a proscrit tout ce qui pouvait rappeler sa manière et chez qui pourtant semble revivre ce lyrisme intime, cette poésie rêveuse qui est l’âme même de la musique de Chopin. Charme de Slave latinisé, très différent de celui qui émane des oeuvres russes ou françaises, quelque chose de foncièrement polonais, comme aussi ces élans héroïques, ces thèmes et ces rythmes apparentés à ce folklore qui est peut-être le plus riche musicalement d’Europe" nous explique Prunières. Pour lui, il s’agit de " découvrir l’héritage génétique de la race " et d’écrire " une musique nationale et non provinciale " débarrassée du "déguisement superficiel qui habille la musique folklorique " comme il l’écrit dans ses "Réflexions sur la critique musicale en Pologne aujourd’hui".

On n’en finirait pas de dénombrer toutes les influences qui se combinent dans le style de Szymanowski : de principe, il n’a repoussé aucune influences, en intégrant habilement toutes les acquisitions du langage contemporain. Cette faculté d’absorption, qui distingue les grands artistes et fait naître d’authentiques chef-d’œuvres, ont permis à Szymanowski d’intégrer la polytonalité et l’atonalité sans altérer sa personnalité ni l’originalité de son style. Pour lui comme pour Hindemith, pour Honneger, pour Bartók, pour Roussel, pour Schœnberg, pour Milhaud, pour Strawinsky, et pour tant d’autres chef de file de cette époque, le génie ne leur fait pas défaut pour absorber ces mutations en les transformant, chacun pour son compte, en les recréant, en les adaptant aux nécessités de leur inspiration profonde.

A PROPOS DE L’OEUVRE

LE TEXTE Originellement "Stabat Mater dolorosa", il s’agit d’un poème rimé de 20 strophes de 3 vers célébrant la compassion de la Vierge aux douleurs de son fils crucifié. Ce poème, que l’on attribue au moine Fra Jacques de Benedictis (†1306), n’a été pourvue d’une mélodie grégorienne officielle qu’au début du XIXème. Elle fut officialisée dans le graduel romain édité sous Pie X. Musicalement, Le Stabat Mater est une composition du type oratorio ou motet, basée en tout ou partie sur ce texte. Il appartient à la catégorie des « séquences » ou « proses », textes chantés à la messe entre l’épître et l’évangile. On le chante aussi souvent pendant les chemins de croix.

Un Stabat Mater offre sans aucun doute aux compositeurs qui l’utilisent l’occasion d’exercer tout leur lyrisme, et leurs sentiments élégiaques. Les plus émouvantes compostions sont signées des noms de A.Scarlatti (2 voix et instr. v.1705) D. Scarlatti (10 voix et basse continue, v. 1715), G.B. Pergolesi (2 voix et instr. 1736), J. Haydn (1767), G. Rossini (1842), A. Dvořák (1877) pour soli chœur et orchestre, et G. Verdi (chœur et orchestre, 1897). Parmi les contemporains, on peut retenir, K. Szymanowki évidemment, Fr. Poulenc (1950), Kristph Penderecki (1962) et H. Howells (1963).

A LA CROISEE DU NATIONALISME ET DU POPULISME

Quand il écrit son Stabat, Szymanowski cherche à rendre "une sorte de requiem paysan – quelque chose de rural et ecclésiastique, naïf dans la foi, une espèce de prière pour les âmes – un mélange de religion pour simples d’esprit, de paganisme et de réalisme paysan austère." Le compositeur utilise d’ailleurs une traduction significative du Stabat : celle due à son compatriote Jankowski, beaucoup moins dramatique, mais en revanche beaucoup plus crue que le texte initial du XIIIème. De cette traduction, Szymanowski apprécie la naïveté, et son inhabituelle simplicité primitive.

Les années 1930/40 sont marqués par une exacerbation des nationalismes de tous bords, et les propos de Szymanowski sur la musique traditionnelle polonaise, le révèlent : "la musique polonaise est rendue vivante par sa proximité avec la nature, par sa force, par l’expression de sentiments directs, par sa pureté raciale". A cela s’ajoute, à la suite de Bartók, un attrait marqué pour les musiques anciennes et traditionnelles, qui lui feront lui aussi utiliser différents éléments musicaux caractéristiques : mouvements parallèles entre les voix, organisation modale, utilisation notable du mode dit "podhalean", (ancien mode polonais caractérisé par l’augmentation de la quarte et la diminution de la septième), ou utilisation de rythme particulièrement structuré (ostinato). Szymanowski a repris également deux thèmes mélodiques issus d’hymnes polonais : Święty Boże [Dieu sacré] et Gorzkie żale [tristesse amère]."

LA MUSIQUE

Les 20 strophes du poème sont réparties en six mouvements :

1.Stała Matka bolejąca.. (Stabat mater dolorosa) pour soprano, chœurs et orchestre (strophes 1 à 4)

2.I któż widział tak cierpiącą.. (Quis est homo qui non fleret) pour baryton, chœurs et orchestre (strophes 5 à 8)

3.O Matko Źródło Wszechmiłości.. (O, Eia, Mater, fons amoris) pour soprano, alto, chœurs et orchestre (strophes 9 à 12)

4.Spraw niech płaczę z Tobą razem.. (Fac me tecum pie flere) pour soprano, alto, chœurs a cappella (strophes 13 et 14)

5.Panno słodka racz mozołem.. (Virgo virginum praeclara) pour baryton, chœurs et orchestre (strophes 15 à 18)

6.Chrystus niech mi będzie grodem.. (Christe, cum sit hinc exire) pour soprano, alto, baryton, chœur et orchestre (strophes 19 et 20)

"Ce n’est plus la grandiloquence de son adolescence, c’est une grandeur naturelle, proportionnée, équilibrée. Pas de sensibilité germanique, une émotion directe, prenante" confie Henri Prunières

LIENS COMPLEMENTAIRES

 Partitions libres de Szymanowski

 Article de Didier Van Moere "Harnasie de Karol Szymanowski et la critique française, étude de réception"

 Catalogue de photographies. Des centaines de photos d’époque, prises du vivant du compositeur.

 Article de Paul Cadrin "KAROL SZYMANOWSKI ET LE RÔLE SOCIAL OBJECTIF DE L’ÉDUCATION MUSICALE"

SOURCES

 Histoire de la musique - Robert Bernard, chez Nathan

 Nouveau dictionnaire de la musique - Roland de Candé, éditions du Seuil

    Joëlle KUCZYNSKI
    Responsable administration de l’école à distance POLYPHONIES. Conception et réalisation des supports formation. Responsable rédaction du Mensuel. Chanteuse.
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