Ce mois-ci nous avons posé quelques questions à Thierry Abramovici, corniste de chambre, enseignant, chef de choeur et d’orchestre à Breisach-am-Rhein au sud de l’Allemagne. Il nous a raconté son parcours singulier, de coups de chance en coups du sort, qui l’ont mené contre toute attente à la direction d’orchestre. Il en est habité aujourd’hui tout entier, mais en gardant -comme vous vous y attendez, une place pour Polyphonies et l’écriture musicale ;-) lire l’article
-Bonjour Thierry ; tu es musicien professionnel et tu vis à Freiburg-in-Breisgau en Allemagne dans la région du Baden-Württenberg (Sud). Avant de parler de ta profession, quel fut d’abord ton parcours ?
Ma formation musicale a commencé dès l’âge de 7 ans au Conservatoire de musique de Tarbes (Hautes-Pyrénées), ma ville natale. J’y ai appris le piano, le solfège, et plus tard, le cor d’harmonie. Après l’obtention des diplômes de Fin d’études (piano) et Supérieur (cor et solfège), j’ai tout d’abord commencé des études de physiques à l’université de Pau, mais j’ai très rapidement abandonné cette voie pour me lancer complètement et définitivement dans la musique. Sur les conseils de mon professeur de cor, je suis parti en Allemagne et ai fait la rencontre d’un musicien d’exception, Ifor James, qui m’a pris dans sa classe. J’ai donc étudié pendant 6 ans le cor d’harmonie à la Musikhochschule (conservatoire supérieur) de Freiburg. Ceci m’a permis aussi de rencontrer des musiciens de tous les coins du monde, mon professeur étant de renommée internationale. Durant mes études en Allemagne, le devoir envers mon pays m’appela et je partis donc faire mon service militaire dans la Musique Régionale de Bordeaux. Pendant cette période, j’ai pris des cours de musique de chambre au conservatoire national de région de Bordeaux et obtint mes 1°prix en Supérieur dans les catégories “Musique de Chambre Bois” et “Musique de Chambre Cuivres”. De retour en Allemagne, je repris mes études avec Ifor James. Des expériences exceptionnelles jalonnèrent mon parcours, notamment la participation à des Concours Internationaux de Musique de Chambre (Sextuor à vent et Quatuor de cors), et des enregistrements de CDs avec différents orchestres, dont un en soliste avec mon professeur et deux autres élèves (Concertos pour cor de Telemann).
Aujourd’hui enseignant, chef d’orchestre et chef de chœur comment es-tu arrivé à la direction ?
C’est par accident : un accident de sport plus précisément !
Je commençais ma carrière de musicien d’orchestre lorsque cet accident survint : il allait alors bouleverser ma vie. Du jour au lendemain je ne pus presque plus jouer de mon instrument, des nerfs au niveau de la mâchoire ayant été touchés. A partir de là, ce fut 10 ans de combat douloureux, douloureux physiquement et moralement. Accepter fut une des plus dures épreuves.
Aujourd’hui, j’ai franchi le pas. Je ne joue plus et j’ai repris des études. Depuis 2005, je suis élève à Polyphonies où je suis en niveau II, et depuis 2006 j’étudie la Direction au Conservatoire Supérieur de Musique de Maastricht (Hollande).
J’enseigne le cor au sein de différents organismes (“ Verein ” en allemand). Parrallèlement, je dirige l’harmonie de la ville de Breisach-am-Rhein ainsi que plusieurs orchestres de jeunes musiciens. J’ai aussi une chorale en Suisse. La direction fut au départ une voie de secours, mais celle-ci se révéla être LA voie que je cherchais depuis toujours. Ce que je considérais au début comme un coup dur du sort (mon accident) fut en réalité une main tendue. Mais que de chemin pour le comprendre...
Comment cette activité de direction s’est-elle imposée à toi ? C’était quand même bien différent de ton activité musicale de musicien de chambre...
Le hasard - mais est-ce bien le hasard ? - m’a fait basculer dans cette voie. Alors que je déambulais dans les couloirs du théâtre de Freiburg avec un ami, celui-ci me fit remarquer une annonce concernant un orchestre d’harmonie qui offrait un poste de direction. Ma première réaction fut négative - je n’avais pas la formation adéquate pour ce genre de travail et je dois avouer que cela me faisait un peu peur de me lancer là-dedans ! Mais que me restait-il ? Je n’avais plus rien, que la frustration de ne plus pouvoir jouer de mon instrument ! Et, il faut le dire, ma situation financière était des plus critiques. Alors, j’ai fait le pas, et j’ai postulé.
Concrètement, comment as-tu obtenu les postes que tu occupes aujourd’hui, concours, relations... ?
Tous les recrutements se font sur concours. Il y a d’abord un entretien avec la présidence où l’on expose sa conception du travail avec l’orchestre, les objectifs que l’on veut atteindre, ses choix musicaux, l’aspect financier, etc. Ensuite, si on correspond aux critères recherchés, on est invité pour diriger une répétition. Cette seconde phase est bien évidemment décisive, puisqu’elle permet aux musiciens de voir comment tu travailles et si, humainement, le courant passe... Une réputation se fait vite dans ce métier, qu’elle soit bonne ou mauvaise ! Si on a la chance qu’elle soit bonne, alors les relations se font très rapidement nombreuses et jouent un rôle déterminant. On est alors souvent invité à droite et à gauche pour aider d’autres orchestres à la préparation de concerts et, chose non négligeable, lorsqu’un poste de direction se libère, on a parfois la chance de se voir proposer la place sans avoir à postuler !
La direction d’un orchestre (ou d’un choeur) a ses exigences : imposer ses choix musicaux n’est pas toujours simple. Comment cela se passe avec tes différents orchestres ?
C’est vrai que ce n’est pas toujours simple. On ne peut pas plaire à tout le monde, et quels que soient les choix musicaux que l’on fait, il y a toujours quelques musiciens qui font la grimace devant telle ou telle autre œuvre... Mais l’expérience montre que, souvent, ces mécontentements sont basés sur des a priori et une méconnaissance de l’œuvre. Tout l’art consiste à les faire changer d’avis. On n’y arrive pas toujours... Adapter ses choix au niveau des musiciens (je travaille avec des amateurs et il y a des limites à ne pas dépasser quant à la difficulté des œuvres) et prendre en considération les goûts du public sont des exigences incontournables.
Les orchestres à vent ont en Allemagne (et plus particulièrement dans le Sud de l’Allemagne) une très forte tradition, où la camaraderie joue un grand rôle, parfois au détriment de la musique. Certains musiciens ont un âge avancé et désirent soigner le répertoire des marches et polkas (n’oublions pas que l’origine de l’orchestre à vent civil est l’orchestre militaire...) Cette tradition se voit bousculée depuis quelques décennies par l’arrivée de chefs d’orchestre de plus en plus compétents qui font découvrir aux musiciens et au public un répertoire jusque-là ignoré - volontairement ou non... Citons comme exemples de compositeurs, Gustav Holst, Ralph Vaughan Williams, Percy Grainger, Hindemith, Milhaud, et bien d’autres encore !
Quoi qu’il en soit, j’ai la responsabilité des programmes musicaux et il me faut savoir faire abstraction de certains musiciens grincheux ! et prendre parfois des risques auprès du public.
Un choeur se dirige-t-il comme un orchestre ? Quel est la qualité première qu’un chef d’orchestre ou chef de choeur doit développer selon toi ?
Un chœur ne se dirige pas tout à fait comme un orchestre. Le texte joue là un rôle essentiel, et le chef de chœur utilise ses mains plus pour montrer les entrées et sorties des voix, la longueur des sons ou le contours d’une phrase que pour battre la mesure. De par sa diversité des instruments et l’effectif en général plus gros dont il dispose, l’orchestre est un appareil plus complexe. Pour faire simple (il serait trop long de rentrer dans les détails), la main droite est chargée de battre la mesure, alors que la main gauche est là pour modeler la musique (articulation, phrasé, nuances, entrées, etc...) Tout ceci est bien évidemment très simplifié mais l’indépendance totale des deux mains est obligatoire et demande un travail de base intensif et régulier. Le chef d’orchestre, contrairement au chef de chœur, utilise (mais ce n’est pas une obligation) une baguette pour diriger. Celle-ci intensifie les possibilités d’expression des mouvements du bras, qui deviennent alors plus complexes et donc plus difficiles à contrôler.
C’est un métier fascinant que celui de chef d’orchestre, aux facettes multiples, et tellement plus enrichissant (je ne parle que pour moi...) que celui de « simple » instrumentiste. Cependant il demande une multitude de qualités musicales... et humaines ! La première qualité qu’un chef doit développer ? Je ne peux en citer que plusieurs, tellement elles sont liées les unes aux autres : personnalité, optimisme, confiance en soi, vitalité, sincérité, enthousiasme, don de communication, de motivation, langage corporel, et tant d’autres (sans parler bien sûr de toutes les facultés musicales). Tout une palette qu’il faut essayer d’améliorer continuellement pour devenir un meilleur musicien,...et grandir...
L’écriture musicale t’a toujours attiré et fasciné, et l’étudier te permet de mieux interpréter, nous as-tu confié. Peux-tu nous en dire plus ? qu’attends-tu des cours d’écriture ? Ont ils déjà un impact sur ton travail ?
Eh bien, il me semble qu’il est plus facile de rentrer dans le cœur d’une œuvre et de la comprendre quand on en connaît les mécanismes. Je perd souvent du temps quand je travaille sur des partitions un peu complexes (notamment celles que je dois préparer pour mes études de direction) justement parce que je tâtonne et que je ne vois pas toujours très bien comment la pièce est construite...C’est un peu comme se promener dans un immense château sans en avoir les plans. Au bout d’un moment on arrive à s’y retrouver, mais il reste difficile d’en avoir une vision globale...
Plus je suis les cours de Polyphonies, plus je me rend compte à quel point il est important pour un musicien de pratiquer l’écriture musicale, car au delà de la maîtrise des techniques, l’imagination et la créativité sont constamment encouragées. Mais je n’en suis qu’au b.a.-ba de l’écriture, et il est encore un peu tôt pour en voir les effets sur mon travail. Ce que j’attends des cours d’écriture ? Rien d’autre que de continuer à me fasciner...
Et par la suite, qu’attends-tu des cours de composition ? Les suis-tu essentiellement pour parfaire ta direction, ou en attends-tu autre chose ?
Bien évidemment, la direction est d’abord ma cible première, mais quel musicien ne rêve pas un jour de pouvoir aller encore au-delà et d’être soi-même créateur, de composer...
-Quel est ton répertoire favori ?
Mes goûts musicaux sont très variés et dépendent du moment ; j’adore Bach, la musique de la Renaissance, la musique française de Fauré, Milhaud, Chausson, les musiques populaires de l’Europe de l’est, le Klezmer, musique traditionnelle juive ainsi que beaucoup d’autres...
Dernière petite question : pourquoi ce choix de vivre et travailler en Allemagne ? Peut-on vivre plus facilement de sa musique dans ce pays ?
A la fin de mes études musicales au Conservatoire, ma première idée fut d’aller étudier au CNSM de Paris. Je m’y suis donc rendu pour prendre un cours avec le Professeur de Cor. Quelle déception ! je voulais faire de la musique, je ne vis que compétition malsaine et technique à outrance. Mon professeur de l’époque avait alors un ami qui étudiait en Allemagne avec un corniste de grande renommée et me proposa d’aller y passer quelques jours pour prendre contact. Après ce court séjour, je me suis présenté au concours d’entrée. C’était en 1988. Depuis, j’y suis resté...
L’approche de la musique est en Allemagne différente d’en France. Les gens vont plus facilement aux concerts, les prix étant très réduits (pour vous donner un exemple, les premières places de théâtre sont à 6 Euros...) La musique n’est pas réservée à une certaine classe sociale comme c’est souvent le cas, et les enfants n’ayant pas école l’après-midi, ont beaucoup de temps pour s’adonner aux loisirs comme le sport ou la musique. Il y a en Allemagne plus de 300 orchestres professionnels et toutes les grandes villes ont un conservatoire supérieur de musique (Musikhochschule). Toutes les villes, qu’elles soient grandes ou petites ont leur salle de concert ! Les activités musicales et les festivals se comptent par myriades. Oui, il est donc plus facile, je crois, de vivre de sa musique en Allemagne. Aujourd’hui encore. Mais qu’en sera-t-il demain ? Ici aussi les aides financières à la culture diminuent, des orchestres se voient dans l’obligation de fusionner ou de mettre la clef sous le palliasson et beaucoup de musiciens voient leurs engagements se raréfier...