Dans l’article précédent "Lire une partition d’orchestre" (même rubrique), nous avons découvert la partition d’orchestre : Présentation de l’orchestre, disposition instrumentale sur une partition d’orchestre, nom des instruments, etc... Abordons maintenant la réalisation d’une orchestration avec l’analyse des premières pages de l’ouverture des « Noces de Figaro » de Mozart. Lire l’article
Dans l’article précédent nous avons découvert la partition d’orchestre. Abordons maintenant la réalisation d’une orchestration avec l’analyse des premières pages de l’ouverture des « Noces de Figaro » de Mozart.
Avant d’aborder l’orchestration de l’ouverture des Noces, examinons sa réduction pour piano. Tout d’abord, qu’est ce qu’une réduction ? C’est la transposition sur généralement deux portées, de l’essentiel de la polyphonie du conducteur, c’est-à-dire la partition réalisée pour un ensemble instrumental, vocal ou orchestral.
Vous pouvez écouter cette exposition en ligne dans deux versions différentes :
Celle de Erich Kleiber dont nous nous servirons pour illustrer pour cet article
Celle de Hans Rosbaud :
Il existe deux types de réduction d’orchestre :
La réduction destinée au piano. Il s’agit d’un arrangement de la polyphonie pour cet instrument le plus proche du texte original mais dont la première condition est de pouvoir être jouée au piano. Elle sert le plus souvent en musique vocale. Elle permet de remplacer l’orchestre par un piano pour accompagner les chanteurs. Ces réductions pour piano sont disponibles dans le commerce.
La réduction d’orchestre destinée à l’analyse et aux cours d’orchestrations. Elle est plus proche de la partition originale que la réduction pour piano. Il s’agit généralement d’extraits d’œuvres présentés dans les traités d’orchestration.
Pour illustrer cet article, nous nous disposons d’une réduction pour piano. Nous verrons ainsi qu’elle diffère malgré tout de la partition originale de l’orchestre.
Outre la possibilité de jouer une œuvre d’orchestre sur un clavier, le principal intérêt d’une réduction est de faciliter l’analyse de la pièce. La partition réduite sur deux portées est en effet débarrassée de toutes les doublures instrumentales et des transpositions de certaines lignes mélodiques.
Dans ce premier article, nous aborderons le premier thème de l’ouverture. Sans prétendre à une analyse approfondie, quelques indications sont néanmoins nécessaires pour pouvoir comprendre l’orchestration.
Notre exemple présente l’exposition du premier thème de l’ouverture des Noces de Mozart. C’est une pièce au tempo très rapide. Le mouvement indiqué est Presto et la pulsation est la blanche. La tonalité de départ est ré majeur.
Cette exposition peut être divisée en 2 sections. La première consiste en l’exposition du thème proprement dit. Celui-ci est élaboré avec deux schèmes seulement, a et b. Il n’y a qu’une seule mélodie, laquelle est redoublée à l’octave aux deux voix. On dit qu’il s’agit d’une mélodie « homophone ». La mélodie de ce thème est un mélange de tournoiement et de dynamique très rapide qui donne un caractère virevoltant à cette entrée en matière. Nous découvrirons plus loin les instruments choisis par Mozart pour mettre ce thème en valeur.
Le thème est suivi d’un commentaire que j’ai divisé en deux parties. Il repose entièrement sur une pédale de tonique à la basse. Dans les parties supérieures, se trouve un schème dynamique c (fa# mi ré) auquel répond le schème d en affirmations (la ré fa# la). Ces deux schèmes sont ensuite imités à la tierce supérieure amenant ainsi une tension mélodique qui aboutit sur un sommet sur la tonique ré, au début de la deuxième partie du commentaire. Celle-ci est le sommet expressif de l’exposition. Elle est formée de deux imitations du schème c : c’ et c’’, toujours sur la pédale de tonique. Le schème c’ est une imitation proche de l’augmentation. Elle semble ralentir le mouvement. Au contraire, l’imitation c’’ est de type diminution et le mouvement semble s’accélérer. Si vous observez l’harmonie de ce commentaire, vous remarquez qu’elle entièrement cadentielle.
Le thème s’achève par une coda cadence en ré majeur qui était la tonalité initiale.
La première page du conducteur nous donne la liste des instruments de l’orchestre. C’est la nomenclature.
Vents : 2 flûtes, 2 hautbois, deux clarinettes en la, 2 bassons. Les clarinettes sont écrites une tierce mineure au-dessus pour que l’on puisse les entendre à la tierce mineure inférieure. La pièce est en ré majeur. On écrit donc les clarinettes en fa majeur, d’où le bémol à la clé.
Cuivres : 2 cors en ré, 2 trompettes en ré. Cors et trompettes sont écrits une seconde majeure au-dessous et donc en do majeur pour être entendus à la seconde majeure supérieure.
Percussions : timbales en ré et la. Il y a deux timbales ici qui jouent seulement deux notes, ré et la.
Cordes : violons I, violons II, altos, violoncelles et contrebasses. Les contrebasses sonnent à l’octave inférieure des notes écrites.
Ce thème homophone est joué par les cordes renforcées par les deux bassons. Les violons I et II sont à l’unisson avec les altos. Les violoncelles et les bassons redoublent le thème à l’octave inférieure et les contrebasses deux octaves au-dessous des violons.
La nuance souhaitée par Mozart est pianissimo. Le timbre des deux bassons se fond parfaitement avec celui des violoncelles tout en restant perceptible. C’est une association très fréquente dans l’orchestration classique.
Lorsque les notes sont redoublées sur plusieurs octaves,la mélodie que l’on perçoit à l’audition est celle de la voix la plus aiguë. Les doublures inférieures renforcent sa sonorité vers le grave et souvent l’assombrissent.c’est le cas pour notre exemple.
Le tempo particulièrement rapide de l’ouverture rend la partie de contrebasse très difficile à jouer. Elle nécessite de bons instrumentistes pour que son exécution ne alourdisse pas ce thème.
Petit détail technique pour l’écriture des cordes : les signes de liaisons correspondent aux mouvements de l’archet. On ne les indique que si l’on connaît bien cette technique particulière aux cordes. Dans la négative, les instrumentistes les modifient.
La pédale de basse sur la tonique est dévolue aux violoncelles. Ceux-ci renforcés sur le premier temps toutes les deux mesures par les bassons et les contrebasses. Ces dernières sonnent, je le rappelle, à l’octave inférieure. Ce groupe d’instruments joue toujours pianissimo (pp).
Au-dessus de cette pédale de tonique, deux groupes d’instruments reprennent les schèmes c et d de la première partie du commentaire. Hautbois et cors jouent le schème c tandis que flûtes et clarinettes leur répondent avec le schème d.
L’opposition de caractère des timbres associés à ces trois figures mélico-rythmiques est intéressante :
la pédale de tonique pp, plutôt en fond avec une couleur sonore assez sombre due à l’alliance de timbres cordes / bassons dans les graves
le schème c, avec une couleur sonore plus claire et au caractère un peu champêtre avec le mélange hautbois / cors
dans son dialogue avec le schème c, le schème d a également un timbre clair mais un peu plus chaud grâce à l’association flûtes et clarinettes.
A noter que Mozart a pris la précaution de noter p les vents et pp le groupe cordes / bassons afin que les notes pédale ne prennent pas le pas sur les mélodies des vents. et ainsi, tout reste bien perceptible et l’orchestration est claire.
Le cor est en ré. Cela signifie que s’il joue un do, nous entendons ré. Les notes écrites sont donc entendues une seconde majeure au-dessus. Les deux premières notes réelles des cors sont donc ici ré et fa#.
Dans la réduction, nous avons vu que le sommet mélodique arrive avec la deuxième partie du commentaire. Comment Mozart a t-il traduit cela à l’orchestre ? De la manière la plus éclatante possible. En faisant sonner son orchestre fortissimo (ff) et en donnant la priorité aux violons qui sont entendus pour la première fois dans le registre aigu. Regardons cela en détail.
La pédale de tonique est continue dans cette deuxième partie mais sa couleur sonore est modifiée. En effet, les croches sont jouées par les contrebasses et les bassons, renforcés par les altos. La timbale entre également en scène en marquant à son tour le premier temps de chaque mesure puis accélère en accompagnant rythmiquement le schème c’’ et les cadences.
Les cors et les trompettes viennent à leur tour enrichir le timbre de cette pédale de tonique. Observons leur disposition. Par pupitre, ils sont redoublées à l’octave. Le cor amène du volume et de la rondeur tandis que la trompette apporte de l’éclat et de l’intensité. Elles renforcent également la puissance sonore de la note pédale.
Il est intéressant de comparer l’orchestration de la pédale de tonique dans ces deux parties du commentaire. Vous pouvez vous faire ainsi une petite idée des possibilités sonores de l’orchestre alors même que seule une note, la tonique est jouée.
Comme le montre la réduction, il n’y a en fait que trois voix réelles dans ce commentaire, en y incluant la pédale de tonique. La mélodie principale est dévolue ici aux premiers violons. Ils sont doublés par la flûte I, le hautbois I à l’unisson et par la clarinette I à l’octave inférieure.
La voix intermédiaire est jouée les violons II avec les mêmes doublures que les violons I, c’est-à-dire flûte II et hautbois II à l’unisson et clarinette II à l’octave inférieure.
Les deux voix sont donc bien équilibrées puisqu’elles sont orchestrées de manière identique. Toutefois, le timbre des cordes dominera celui des vents car l’orchestre joue à pleine puissance ici. Nous reviendrons dans un autre article sur l’équilibre entre instruments.
Pour accentuer plus encore l’arrivée sur ce commentaire, qui est rappelons-le, un sommet expressif, les violons ont un accord sur le premier temps. En raison de la courbure de leur chevalet, ceux-ci ne peuvent pas jouer trois notes simultanément. L’accord doit donc être arpégé rapidement ce qui donne plus d’énergie encore à ce passage. Chaque pupitre joue un accord différent ici. Pour les rendre plus faciles à exécuter, Mozart y a incorporé des cordes à vides, ré grave et la. On le voit, une bonne connaissance de la technique de chaque instrument est donc indispensable lorsque l’on souhaite passer à l’orchestration. Cette discipline s’appelle l’instrumentation. De nombreux traités en enseignent la théorie qu’il est indispensable de compléter par une collaboration avec des instrumentistes.
Pour renforcer plus encore la prédominance des premiers violons, Mozart leur affecté la nuance FF alors que vents et cuivres jouent F (sur mon document).
On retrouve une disposition très proche pour la coda cadence qui clôt ce commentaire. La mélodie principale passe aux vents maintenant. La voix supérieure est jouée par la flûte I et le hautbois I à l’unisson et la clarinette I à l’octave inférieure. Ils sont doublés à l’unisson sur le posé de la pulsation (la blanche) par le cor I, la trompette I et les violons I en accords. La voix intermédiaire reprend exactement la même disposition avec le deuxième instrument de chaque pupitre.
La partie de basse quitte la pédale pour une mélodie cadentielle. Elle est jouée par les altos, violoncelles/ bassons, contrebasses et timbales.
En observant cette orchestration, on constate que chaque instrument a une ligne mélodique qui lui est dévolue, nécessairement intéressante lorsqu’elle est, comme c’est évidemment le cas ici, bien composée. on note aussi que l’orchestration colle exactement aux structures thématiques de la composition. Elle met en valeur les développements. D’ailleurs, il est plus facile de percevoir les schèmes dans une partition orchestrée que dans une réduction.
On comprend mieux ainsi pourquoi il est nécessaire d’avoir étudié l’écriture et la composition avant de passer à l’étude de l’orchestration.