De tous temps, la variation a été un genre musical très prisé des compositeurs. Elle offre en effet des possibilités de renouvellement mélodique ou harmonique quasi illimitées. Poursuivons donc l’étude du premier mouvement de la sonate pour piano k331 de Mozart, dont nous avons déjà abordé le thème dans un précédent article, par l’analyse de la première des six variations. Et découvrons également l’art de la variation de Mozart. lire l’article
DOSSIER : INTRODUCTION A L’ANALYSE
1er article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (I)
2ème article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (II)
3ème article : Introduction à l’analyse : la forme musicale (III)
4ème article : Introduction à l’analyse : l’art de la variation (IV)
Varier un schème, un thème ou une phrase musicale consiste à modifier librement leur cheminement mélodique et leur métrique tout en permettant d’y retrouver une certaine ressemblance avec la mélodie originale. Généralement, cette ressemblance s’obtient en conservant l’ossature mélodique, que lui confèrent les notes pivots ou les consonances. Mais on peut aussi s’éloigner du modèle initial en n’en conservant qu’une idée plus générale [1].
Genre musical à part entière, la variation a également la part belle en composition comme technique de développement. On peut tout aussi bien varier une phrase musicale, un commentaire, ou même un seul schème.
Dans un premier temps, abordons la variation de la ligne mélodique principale, située à la voix supérieure.
EXPOSITION
Nous savons que la variation consiste en un renouvellement du matériau musical. Nous pouvons constater en effet que de nouvelles figures mélodico-rythmiques sont apparues dans la mélodie variée. Ce sont des schèmes [2]. Mozart affectionne particulièrement cette technique qui consiste à varier la mélodie en y incorporant de nouveaux schèmes. Ils sont au nombre de deux dans l’exposition. Le schème a [3] figure dans l’exposition du thème et le schème b, dans son commentaire. Certains schèmes sont simplement repris à l’identique comme ici les schèmes marqués a et b. D’autres sont reproduits à l’aide des techniques d’imitation que nos élèves ayant suivi la session 5 connaissent bien [4] . Je les ai nommés dans ce cas a’, a’’ et b’. Notons qu’à la première mesure, la figure initiale de deux notes, si# do, est élaborée à partir de la structure du schème a. Les trois premières notes du schème a sont sous-entendues afin que la mélodie débute sur le premier temps de la mesure.
L’incorporation de nouveaux schèmes dans une variation mélodique s’effectue en s’efforçant de conserver les notes caractéristiques. C’est tout l’art de la variation : on doit pouvoir s’éloigner de la mélodie initiale tout en la conservant suffisamment pour que celle-ci soit toujours reconnaissable. En général, on reste assez proche de la mélodie initiale dans la première variation et l’on prend quelques distance avec celle-ci au fil des variations suivantes. Sur cet exemple, et pour bien mettre en évidence la relation entre les deux mélodies, j’ai entouré dans la variation les notes conservées par Mozart. Ici, il n’y a pratiquement que des notes consonantes, celles qui justement constituent l’harmonie.
A la quatrième mesure de la variation, le silence, qui avait aussi pour fonction de mettre en valeur les schèmes en les séparant, est remplacé par une note, si#. La mélodie devient alors continue. Cette note fait également partie du schème a. Nous devons la rattacher au schème précédent dont elle constitue la dernière note au posé. Même dans les schèmes où elle est absente, elle est sous-entendue. Ce schème plus long que les autres s’appellera a’’.
La coda est un schème avec la figure mélodico-rythmique caractéristique et généralement différente. On peut le constater dans le thème initial mais aussi dans la variation. La coda y est variée très librement à l’aide d’une nouvelle figure mélodique [5].
COMMENTAIRE
Le schème b et son imitation b’ sont utilisés pour varier la mélodie du commentaire. A la troisième mesure, la mélodie est également variée à l’aide d’un trille et de deux notes brèves d’ornementation. Cette autre manière de varier s’appelle la variation ornementale . Elle consiste à orner les notes d’une mélodie avec des figures mélodiques simples mais toujours renouvelées, en conservant généralement les notes initiales.
DEVELOPPEMENT
On retrouve le schème au début de la variation du développement. Notons la reprise du schème a’’ à la troisième mesure dans lequel fa# remplace le silence. Un nouveau schème que nous appelons c intervient également dans la variation du développement.
REEXPOSITION
Dans la réexposition, la variation de la mélodie variée s’effectue avec les schèmes a et a’. La coda est bien sûr élaborée avec une nouvelle figure mélodique. On retrouve aussi le schème b dans la variation de la conclusion.
EXPOSITION
La ligne de basse et la voix intermédiaire sont également variées. Par souci de complémentarité avec la mélodie principale, elles sont réduites à l’essentiel. Les accords qu’elles forment, sont placés sur les 2ème et 5ème temps, qui correspondent aux silences de la voix supérieure. Une sorte de dialogue est ainsi créé entre les deux voix. A la quatrième mesure, il n’y a plus d’accord sur le second temps, probablement en raison de la suppression du silence par l’ajout d’une note dans la mélodie principale.
L’harmonie est presque inchangée dans cette exposition. On notera toutefois l’accord IVa au premier temps de la troisième mesure[Nous aurions pu également choisir cet accord IVa dans l’exposition initiale du thème, la note pédale pouvant être exclue de l’harmonie.] et l’accord V à la quatrième mesure qui arrive dès le 4ème temps.
COMMENTAIRE
La voix intermédiaire rejoint la mélodie principale à la portée supérieure qu’elle accompagne en mouvement parallèle. La mélodie de basse est très simple. Elle ne comporte que des notes répétées. On note également peu de changements harmoniques dans ce commentaire.
NOTES CHROMATIQUES
Observons maintenant d’un peu plus près les notes entourées dans la variation. Elles ne font pas partie de l’harmonie. Ce sont donc des dissonances. Elles sont étrangères également à la tonalité de la pièce. En effet, il s’agit de notes chromatiques [6]. De plus ici, elles sont très souvent au posé et sont donc particulièrement expressives. Les notes chromatiques ont pour but d’enrichir l’expression de la mélodie. Comme elles sont dissonantes, elles doivent être résolues et recevoir une fonction et un message. Dans cette exposition, on trouve des appogiatures (a), des notes de passage (x) et des broderies (+) chromatiques. Dans la première mesure du commentaire, Mozart a été jusqu’à placer simultanément deux notes de passages chromatiques au posé, rendant ainsi ce passage très expressif.
DEVELOPPEMENT
La voix intermédiaire retrouve la basse dans ce développement. Sa ligne mélodique, complément de la voix principale, prend le pas sur la basse qui reste sur une pédale de tonique durant la plus grande partie du développement.
On observera un resserrement de l’harmonie dans ce développement et un court passage en mi majeur [7] juste avant le retour en la majeur pour la coda.
Le développement comporte également des notes chromatiques, entourées dans l’exemple, qui apportent beaucoup à l’expressivité mélodique, notamment à la seconde mesure où l’on note des dissonances au posé sur les quatre premiers temps, dont trois notes chromatiques.
REEXPOSITION
Les deux voix inférieures restent associées jusqu’à la première coda. Comme dans l’exposition, les accords qu’elles forment sont d’abord placés sur les 2ème et 5ème temps, sous le silence de la voix principale, puis progressivement sur les autres temps. La voix intermédiaire rejoint à nouveau la voix principale pour la conclusion, tandis que la basse reprend l’accompagnement en répétitions, qui a déjà été utilisé dans le commentaire.
L’harmonie est identique à celle de l’exposition des deux premières mesures. Elle devient plus resserrée ensuite.
On notera également encore quelques notes chromatiques dans cette réexposition.
DOSSIER : INTRODUCTION A L’ANALYSE
1er article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (I)
2ème article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (II)
3ème article : Introduction à l’analyse : la forme musicale (III)
4ème article : Introduction à l’analyse : l’art de la variation (IV)
[1] Dans notre formation, nous consacrons à l’étude de la variation deux cours entiers de mélodie (cours 29 et 30, suivis dans les cycles court, court PRO et master).
[2] Pour toutes les définitions des termes musicaux, nous vous renvoyons aux trois articles précédents.
[3] Je rappelle que pour mieux les visualiser, je délimite les schèmes à l’aide de petits tirets placés sur la portée.
[4] Note à ces élèves : a’ est une imitation contraire et en extension de a tandis que b’ est une imitation contraire rétrograde de b.
[5] Je ne lui donne pas de nom car il s’agit d’un schème de coda qui ne sera pas repris ultérieurement.
[6] Une note est chromatique lorsqu’elle n’appartient pas au système diatonique, et donc ici à la tonalité de la.
[7] Lorsque le changement de tonalité ne dure que le temps d’un accord, on appelle cela un emprunt. C’est le cas ici.