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Introduction à l’analyse : la forme musicale (III)

Avec ce troisième article, nous pénétrons enfin pleinement dans l’analyse musicale. L’harmonie que nous avons abordé dans les deux articles précédents en fait partie mais n’est qu’un élément de cette recherche. Nous allons donc aborder maintenant l’étude de la forme musicale, à savoir comment ce thème de dix huit mesures, extrait du premier mouvement de la sonate K331 pour piano de Mozart, a été élaboré.


DOSSIER : INTRODUCTION A L’ANALYSE

- 1er article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (I)
- 2ème article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (II)
- 3ème article : Introduction à l’analyse : la forme musicale (III)
- 4ème article : Introduction à l’analyse : l’art de la variation (IV)


Mozart Sonate pour piano k331 (Thème)

Mozart Sonate pour piano k331


- Sonate Kv331 : Thème (Aldo Ciccolini piano)

Avant de rechercher les structures formelles de cette pièce, un petit mot sur sa rythmique. Une figure métrique revient très souvent dans ce thème. Son rythme très caractéristique : croche pointée - double croche - croche, est celui d’une danse ancienne, la sicilienne. L’analyse harmonique du précédent article nous a permis de conclure à une pulsation à la croche. Le mouvement indiqué par Mozart étant andante, nous sommes donc en présence d’une sicilienne lente. A noter que s’il s’agissait de la danse, la pulsation aurait été la noire pointée et la pièce aurait été jouée trois fois plus vite. Ici, Mozart n’en conserve que la figure métrique.

Comme pour un texte littéraire, une pièce musicale peut être divisée en plusieurs parties, étroitement liées [1]]. Le découpage formel de ce thème est très classique. Il se divise en trois grandes parties :

- Exposition : mesures 1à 8
- Développement : mes. 9 à 12
- Réexposition : mes. 13 à 18

C’est un plan musical tout à fait traditionnel au XVIIIème et qui aura cours encore au XXème siècle.

Cette pièce convient tout à fait pour une première analyse formelle en raison de la simplicité de sa polyphonie, le nombre d’éléments thématiques étant limités. La basse et la voix supérieure étant pratiquement toujours parallèles, on peut considérer le plus souvent qu’il n’y a qu’une seule ligne mélodique. Seules les quatre mesures du développement, plus complexes de ce point de vue, font exception.

EXPOSITION

Ces huit premières mesures sont elles-mêmes divisibles en deux parties. Les quatre premières mesures exposent véritablement le thème et les quatre suivantes forment ce que l’on appelle en composition musicale, un commentaire. On peut définir rapidement le commentaire comme une phrase musicale développant tout ou partie des éléments musicaux précédemment exposés [2]].

Avant d’aller plus loin dans l’analyse, je me dois de donner quelques précisions complémentaires concernant le schème et le thème à ceux qui les n’ont pas encore abordé dans notre formation. [3]]

Le schème est la plus petite cellule mélodico-rythmique d’une pièce. Souvent formée de quelques notes, elle sert de base à la construction du thème ou de la phrase musicale. A cet effet, le schème sera développé, c’est-à-dire imité ou varié.

Le thème est composé d’un ou plusieurs schèmes, pouvant être répétés, imités ou variés. Il est généralement divisé en deux parties, l’antécédent et le conséquent. Il s’agit d’une articulation essentielle en composition que l’on peut rapprocher d’un point de vue littéraire à l’articulation question - réponse : l’antécédent du thème pose une question et le conséquent apporte la réponse.

Exposition du thème

Avant de rechercher l’articulation de notre thème de sonate, il faut commencer par détailler l’ensemble des schèmes qui le composent. C’est principalement la voix supérieure qui nous intéresse ici car la basse, parallèle et donc identique, n’apporte aucun nouvel élément mélodique.

Le thème commence par un premier schème de quatre notes que nous avons appelé a. Pour le démarquer du schème suivant, nous plaçons un petit tiret de séparation après sa dernière note [4]]. Le schème suivant est une imitation à la seconde inférieure de a [5]]. La différence avec le premier schème a est la note au levé initiale qui a été ajoutée ici [6]]. J’ai placé également un tiret à la fin de ce schème.

On ne retrouve plus la figure mélodico-rythmique du schème a dans la suite de la phrase. Le seul schème que l’on peut extraire de ce passage est très court puisqu’il ne fait que deux notes. Nous l’avons appelé b. Celui-ci est imité deux fois.

Cette première phrase musicale s’achève avec un nouveau schème dont la figure métrique diffère des schèmes a et b. Il s’agit d’un schème de coda. En composition, son rôle est de mettre fin à une phrase ou une partie plus grande comme l’exposition, le développement, ou la réexposition. Généralement, une cadence accompagne le schème de coda et l’on utilise alors le terme de coda-cadence. Ici, la phrase s’achève en suspens par un accord V. Il y a donc une cadence imparfaite.

Notre thème se divise en deux parties que j’ai appelées A et B et qui s’articulent en un jeu de question-réponse, antécédent et conséquent. A, l’antécédent est formé de deux schèmes a. Le conséquent B, formé de trois schèmes b, lui répond. L’harmonie participe aussi à la mise en œuvre de cette articulation : l’antécédent se termine en suspens avec un accord VIIa et le conséquent s’achève de manière conclusive avec une cadence parfaite Va I. Pour bien saisir ce jeu de question-réponse, je vous conseille d’écouter l’exemple audio. L’articulation antécédent conséquent est un élément expressif essentiel en composition musicale et pas seulement dans l’exposition d’un thème.

Commentaire

Le commentaire, nous l’avons vu est une phrase musicale développant des éléments musicaux déjà exposés. Ce commentaire de quatre mesures reprend d’abord les deux schèmes a de l’antécédent A. A noter qu’ils auraient aussi pu être imités avec d’autres intervalles ou même d’autres techniques d’imitation. Ici, Mozart a choisi la répétition, imitation la plus proche. Le conséquent B est repris à son tour avec une petite modification d’intervalle. Le schème b est imité 3 fois, c’est à dire jusqu’à la fin de la phrase, la dernière imitation pouvant être considéré comme un schème de coda. Ce commentaire et donc l’exposition également s’achèvent par une cadence parfaite V7 I.

DEVELOPPEMENT

En règle générale, le développement est le cœur d’une pièce musicale. Comme son nom l’indique, c’est l’endroit où le compositeur développe ses idées musicales en reprenant les thèmes ou les schèmes, et en les réorganisant d’une manière différente de l’exposition. C’est souvent dans les développements que figurent les sommets expressifs d’une pièce.

Ce développement commence par le schème a de l’antécédent, imité à la tierce supérieure du schème initial de l’exposition. Il est suivi d’un second schème a dont la figure mélodico-rythmique a subi d’importantes modifications. Il s’agit en effet d’une variation de a. C’est ensuite au tour du schème b du conséquent d’être varié puis imité deux fois. Le développement s’achève également par un schème de coda.

On portera une attention particulière au grand rythme de la mélodie. Celui-ci est généré par les successions de phases de tension et détente. Nous savons qu’un intervalle ascendant exprime un effort plus ou moins intense selon sa grandeur tandis qu’un intervalle descendant amène une phase de détente. Pour établir ce grand rythme, on considère la succession des intervalles formant la ligne mélodique. Ici, il y a tout d’abord une phase de tension avec un sommet mélodique sur la note la, d’ailleurs sommet mélodique de la pièce. La tension mélodique y est à son maximum. Après ce sommet, on observe une longue phase de détente : la mélodie descend peu à peu jusqu’à la coda.

Dans cette pièce, le développement est le seul passage comportant une polyphonie conséquente. En effet, elle était plutôt simple dans l’exposition. Les deux voix extrêmes étaient parallèles tandis qu’il y avait une pédale dans la voix intermédiaire. Ici, on peut observer trois ou quatre voix réelles.

En effet, aux deux premières mesures du développement de la portée inférieure, l’accompagnement est constitué d’accords arpégés. En écriture musicale, nous considérons que chaque note arpégée fait partie d’une voix différente. Dans ce passage, il y a donc trois voix.

Dans la dernière mesure du développement, le # devant la note ré amène une tonulation [7]] en Mi majeur avec l’accord VIIa (ré# fa# la en 1er renversement). Le développement se termine donc également sur une cadence parfaite : VIIa I. Cette tonulation rapide amène le sommet expressif de la pièce. A noter que les notes la et do# sur le 4ème temps de cette mesure sont des retards, notes précédentes prolongées sur cet accord. Ce sont donc des dissonances qui sont résolues toutes deux en descendant, sur les notes sol# et si. On considère donc que nous sommes dès le 4ème temps sur l’accord I. C’est une formule musicale que Mozart et ses contemporains utilisaient très souvent dans leurs œuvres.

Ce développement se termine par l’accord de tonique de Mi majeur. Celui-ci est également l’accord V de La majeur. Cette ambiguïté permettra de reprendre la réexposition directement par l’accord I de La majeur lors de la première mesure de la pièce.

REEXPOSITION

La réexposition reprend généralement les éléments thématiques de l’exposition en y apportant parfois quelques modifications. Ici, Mozart a repris le commentaire de l’exposition dont les deux premières mesures répétaient celles du thème. Cela donne ainsi l’impression de revenir au début de la pièce.

A la 4ème mesure de la réexposition, on trouve une coda cadence avec une cadence parfaite en La majeur. Nous sommes sur un accord I au 4ème temps de cette mesure : sol# et si sont des retards résolus sur la et do#. Il s’agit de la même formule que qu’à la fin du développement.

Conclusion

Ce thème de Mozart qui va servir de support aux variations suivantes s’achève par deux mesures de conclusion basées mélodiquement sur le conséquent B. Dans la coda finale très expressive, la mélodie atteint le sommet mélodique sur la note la avant de retomber rapidement avec un saut d’octave, suivi d’une dissonance au posé, do# ne faisant pas partie de l’accord V7.

A noter le redoublement à l’octave de la mélodie de basse. Il n’y a pas de parallélisme d’octave ici mais un renforcement sonore de la mélodie [8]].


DOSSIER : INTRODUCTION A L’ANALYSE

- 1er article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (I)
- 2ème article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (II)
- 3ème article : Introduction à l’analyse : la forme musicale (III)
- 4ème article : Introduction à l’analyse : l’art de la variation (IV)

Notes

[1] [Cela vaut pour toutes les pièces musicales. La forme musicale sans conteste la plus populaire et la plus ancienne est la forme chanson. Elle comporte deux parties alternées : couplet- refrain.

[2] [Le commentaire repose sur les techniques de développement comme l’imitation ou la variation. Nous les abordons au niveau II dans nos cours sur le schème musical.

[3] [Avec le contrepoint, les cours de schème sont préparatoires aux cours de composition.

[4] [Note aux élèves qui n’ont pas abordé les cours sur le schème : pour faciliter leur jonction, les schèmes commencent au levé et se terminent par une note au posé.

[5] [Il existe de nombreuses techniques d’imitation que nous étudions dans nos cours. La plus simple est l’imitation semblable comme dans cet exemple : toutes les notes du schème sont transposées à la seconde inférieure.

[6] [Si un schème ne comporte pas de note initiale au levé, celle-ci reste généralement sous-entendue. Dans un développement, elle peut néanmoins faire partie d’un schème si le compositeur le juge nécessaire. Ici, le premier schème a ne comporte pas de note au levé, mais pour éviter une respiration trop importante, son imitation en comporte une.

[7] [Par souci de précision, nous utilisons deux termes différents pour nommer le changement de tonalité, la tonulation et le changement de mode, la modulation.

[8] C’est un procédé très usité au piano ou à l’orchestre. Les deux notes fusionnent en une seule. On considère qu’il n’y a qu’une seule voix. On ne procède pas de cette manière dans une polyphonie à quatre voix car en fusionnant ainsi, une voix disparaîtrait.

    Jean-Luc KUCZYNSKI
    Jean-Luc KUCZYNSKI est compositeur et professeur de composition musicale depuis 1988 aux ACM et depuis 1999 à l’école d’écriture et de composition Polyphonies.
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