Peut-être avez vous tenté de réaliser une analyse harmonique de ce thème de Mozart, après la lecture de notre article précédent. Je l’avoue volontiers à ceux qui n’ont pas encore abordé le contrepoint ; il n’est pas simple d’y repérer les accords. Ce thème est en fait une véritable polyphonie.
Notre second article est là pour vous initier :-). Il vous permettra d’y voir plus clair et de mieux comprendre l’articulation harmonique d’une pièce classique. Lire l’article
DOSSIER : INTRODUCTION A L’ANALYSE
1er article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (I)
2ème article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (II)
3ème article : Introduction à l’analyse : la forme musicale (III)
4ème article : Introduction à l’analyse : l’art de la variation (IV)
Bien que notre objectif soit avant tout la recherche des accords qui structure harmoniquement ce thème, il nous faut prendre en compte également son aspect polyphonique. En effet, la pièce comporte trois voix et donc trois lignes mélodiques distinctes. D’un point de vue de la complémentarité des voix, cet exemple est peu habituel chez Mozart. En effet, si on lit chaque ligne séparément, on constate que les mélodies des deux voix extrêmes sont presque toujours parallèles tandis que celle de la voix intermédiaire repose essentiellement une même note, mi, répétée de nombreuses fois. Il s’agit de ce que l’on appelle une note pédale. Son statut est très particulier : aux premier et dernier accords dans lesquels elle est présente, elle fait partie de l’harmonie alors que dans les autres accords, elle peut en être exclue. Il en résulte ainsi parfois des combinaisons harmoniques intéressantes. Les deux notes les plus utilisées comme notes pédales sont la tonique et la dominante [1].
Mesures 1 à 4
Après ces quelques observations, nous pouvons enfin aborder l’analyse harmonique. Commençons tout d’abord par celle des 4 premières mesures.
Mesure 1
La pièce commence en principe par l’accord de tonique. Ici le premier accord est formé des trois notes la-do#-mi. Nous sommes donc sur l’accord I de la majeur. J’ai donc rayé les deux notes si et ré qui ne font pas partie de l’harmonie. Nous reviendrons un peu plus loin sur leur statut. Leur valeur métrique est d’ailleurs trop brève pour constituer en elles-mêmes un accord. Pour l’instant, étant donné que la mesure est 6/8, nous considérons que la pulsation est la noire pointée.
Le second accord de cette mesure ne comporte que deux notes do# et mi. A priori, nous écartons l’accord III car nous aurions une tierce montante de deux accords en fondamentale. Il s’agit donc plutôt d’un accord Ia [2]. Notons que dans la période classique dont fait partie cette pièce de Mozart, on reste souvent durant plusieurs pulsations sur les mêmes degrés en début de pièce.
Mesure 2
Les trois notes du premier accord sont sol#-mi-si. La et do# sont étrangères à l’harmonie. Nous sommes donc sur l‘accord Va. A noter que sol# et si font nécessairement partie de l’accord car elles sont suivies d’un intervalle disjoint [3]. La et do# sont suivies d’un intervalle conjoint et peuvent être par conséquent des dissonances [4].
L’accord suivant est constitué des notes si, mi et ré. Ce pourrait être l’accord V7b [5], mais sa note de basse arriverait sur l’accord suivant par mouvement disjoint ce qui ne correspondrait pas tellement au langage musical de Mozart. N’oublions pas que la note mi est une pédale et qu’à ce titre, elle peut être considérée comme étrangère à l’harmonie. Dans ce cas, si l’on exclut mi, nous sommes tout simplement sur l’accord VIIa.
Mesure 3
Le premier accord comporte les notes fa#, mi et la. Il peut s’agir de l’accord VI7 : fa#, la, do# et mi car dans ce cas, la 7ème serait préparée et résolue dans sa voix et sur la même note, mi. On considère donc qu’il s’agit ici de l’accord VI7.
Le second accord de la mesure ne comporte que les notes sol#-mi-si. Il s’agit bien évidemment de l’accord Va.
Mesure 4
Cette mesure commence par l’accord de tonique. On notera la cadence parfaite. Si la pulsation est la noire pointée, comme nous le supposions en abordant l’analyse, il y aurait 3 notes dissonantes [6] simultanées au levé : ré à la basse (appogiature), si (appogiature) et ré au soprane (note de passage). C’est beaucoup, donc peu probable. Par contre ces 3 notes auxquelles on peut ajouter mi peuvent former l’accord V7 : mi-sol#-si-ré (sol# n’étant pas présent dans l’accord). C’est cette solution qui est la plus logique. Puisqu’il ne peut y avoir plus d’un accord par pulsation, l’accord V7 est au posé et l’on peut affirmer que la pulsation de cette pièce est la croche [7].
Cette mesure s’achève également avec deux accords : l’accord Ib et l’accord V. Ce dernier est suivi d’un accord I à la mesure suivante. Cette première phrase musicale s’achève donc par une cadence parfaite sur le posé de la mesure 5.
Mesures 5 à 8
Mesure 7
Elle commence sur les deux premiers temps (croches) par un accord VI7 comme à la mesure 3.
Au troisième temps, les notes sol#-mi-si peuvent former un accord : mi-sol#-si. Nous sommes donc sur Va.
Cet accord est suivi d’un accord de tonique : la do#-mi. Il y donc une cadence parfaite ici.
Au dernier temps, l’accord est formé de 4 notes. La pièce passe donc à 4 voix. Un seul accord est possible puisque les notes sont ré-fa#-si-ré. Il s’agit de l’accord IIa.
Mesure 8
Celui-ci est suivi de l’accord Ib à la dernière mesure [8]. Au troisième temps figure un accord qui comporte 5 notes. Il s’agit de l’accord V7 : mi-sol#-si-ré. Celui-ci s’enchaîne à l’accord I pour l’ultime cadence parfaite de la première partie du thème.
Cette analyse met en valeur le peu de dissonances utilisées par Mozart dans cette exposition. Celles-ci ne sont d’ailleurs présentes que dans les deux mesures 1,2 et 5,6. Ces notes sont celles qui sont rayées dans notre exemple. Comme dit précédemment, une note dissonante doit être résolue et avoir une fonction et donc un message mélodique. Ici, toutes les dissonances sont donc des broderies.
Nous resterons encore sur ce thème de Mozart le mois prochain pour aborder cette fois la forme musicale. Nous verrons ainsi comment cette exposition a été élaborée d’un point de vue thématique.
DOSSIER : INTRODUCTION A L’ANALYSE
1er article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (I)
2ème article : Introduction à l’analyse de l’harmonie (II)
3ème article : Introduction à l’analyse : la forme musicale (III)
4ème article : Introduction à l’analyse : l’art de la variation (IV)
[1] L’emploi de la pédale repose sur une longue et ancienne tradition musicale. On en trouve des exemples dans les premières polyphonies occidentales mais aussi parmi les plus anciennes des chansons traditionnelles. De nos jours, la musique de variétés en fait un usage sans réserve. A noter que la note pédale est le plus souvent utilisée dans la voix la plus basse.
[2] Note aux élèves n’ayant pas abordé cet accord : l’accord a est un accord du 1er renversement. Sa note de basse est la seconde note de l’accord, située à la tierce de la fondamentale.
[3] En contrepoint, une note qui ne fait pas partie de l’accord est une dissonance et à ce titre doit être résolue comme le sont les notes non pivots en mélodie. Une note suivie d’un intervalle disjoint est donc obligatoirement consonante car dans le cas contraire elle ne serait pas résolue. Elle fait partie de l’accord.
[4] Une dissonance est une note qui ne fait pas partie de l’accord. Elle doit être résolue. Une consonance fait partie de l’accord.
[5] Note aux élèves n’ayant pas abordé cet accord : l’accord b est un accord du 2ème renversement. Sa note de basse est la 3ème note de l’accord, située à la quinte de la fondamentale. Cet accord, assez lourd et contraignant, est peu utilisé en écriture classique. Le chiffe 7 indique que nous sommes sur un accord de 7ème. Il s’agit d’un accord à 4 sons. La 4ème note de l’accord est située à la 7ème de la fondamentale.
[6] Comme en mélodie, les notes dissonantes ont une fonction : note de passage, broderie, appogiature, anticipation ou retard.
[7] En fait la première étape lors de l’analyse d’une pièce doit être la recherche de la pulsation. On commence donc par rechercher les passages où l’harmonie est la plus resserrée possible.
[8] Il s’agit ici d’un enchaînement IIa Ib. Ceux qui ont déjà abordé le second renversement savent que cet enchaînement n’est pas une fausse cadence, l’accord Ib n’établissant aucune cadence.