Poursuivons notre présentation des techniques de développement que permet le schème en composition musicale. Après Bach et Mozart, j’ai choisi quelques exemples dans des œuvres de trois autres compositeurs illustres : Beethoven, Brahms et Britten.
SOMMAIRE DU DOSSIER
Le schème, élément de développement en composition musicale(I)
Le schème, élément de développement en composition musicale(II)
Cinquième Symphonie en do mineur
De Beethoven, j’ai choisi le premier mouvement de la célèbre Cinquième symphonie en do mineur et tout particulièrement son premier thème. Celui-ci est très remarquable en effet. Avec un seul petit schème, très simple et basé sur la répétition d’une note, Beethoven construit le premier thème et développe ses premiers commentaires. Cet exemple est un modèle d’unité pour ce qui est la construction musicale. Quelques notes lui suffisent en effet pour développer le début de cette symphonie. En composition musicale, plus les éléments thématiques sont restreints et plus grande est l’unité de la pièce.
Bien qu’élaboré à partir d’un seul schème, notre thème s’articule sur une structure de type question/réponse. Ce premier schème que j’ai appelé a est l’antécédent du thème. L’imitation de a à la seconde inférieure est son conséquent. L’harmonie participe aussi de cette articulation : l’antécédent se termine par l’accord Ia de do mineur et le conséquent en suspens par un accord VIIa [1].
Premier commentaire
Ce premier commentaire, élaboré entièrement à partir du schème a, peut être divisé en deux parties de huit mesures chacune.
La première partie commence par une reprise de l’exposition. Nous y retrouvons en effet les deux mêmes notes du schème a, sol et mib. Ce schème est imité ensuite deux fois [2] aux deux voix supérieures (mesures 6 à 9). Ce procédé de développement est repris une seconde fois. On y retrouve donc (mesures 10 à 13) le schème initial et ses deux imitations.
Dans cette partie du commentaire, chacune des notes située sur le dernier posé des schèmes est tenue pendant que les autres voix font entendre les imitations. Elle vient s’ajouter ainsi à l’harmonie. Les premières notes des schèmes ne laissent apparaître aucun intervalle d’imitation particulier [3]. Il s’agit en effet des notes sol, la b et mib puis sol, lab et fa. La succession des notes forme simplement une ligne mélodique entièrement perceptible à l’écoute.
Pour élaborer la seconde partie de ce commentaire, Beethoven modifie le schème a. Il est imité par extension. Dans ce type d’imitation, un seul intervalle du schème y est agrandi. D’unisson, il devient seconde. J’ai appelé a’ ce schème en imitation par extension.
Le premier schème a’ commence sur la note sol, sommet mélodique du commentaire. Celui-ci arrive très logiquement si l’on considère la ligne mélodique définie par les premières notes des schèmes précédents : sol, lab, fa et donc sol.
Un second schème a’ lui répond en mouvement contraire [4] aux voix intérieures. Beethoven use beaucoup des répétitions dans sa musique. Ici, ce dialogue contrapuntique est répété trois fois. La dernière répétition est suivie d’une coda cadence qui met fin au commentaire. Mais juste avant celle-ci, le schème a initial apparaît une fois encore à la basse et dans la voix intermédiaire supérieure afin de renforcer polyphoniquement la dernière imitation du schème a’.
Outre les différentes techniques d’imitation imaginées par Beethoven, nous pouvons admirer dans ce court extrait, la clarté et la cohérence de ce développement. Je vous laisse découvrir vous même dans la partition de cette Cinquième symphonie les autres développements et l’évolution musicale de ce schème a.
Variations sur un thème de Haydn
Dans cette œuvre pour orchestre, Brahms a composé neuf variations d’après un thème que Haydn avait déjà lui-même repris dans un ancien choral de pèlerins. Pour cette présentation, j’ai choisi la première partie de la troisième variation. Pour que la relation entre thème et variation soit plus évidente, j’ai superposé les deux lignes mélodiques et entouré dans la variation les notes du thème initial. La technique de Brahms dans cette variation consiste à varier la mélodie du thème de Haydn en utilisant différents schèmes.
Cette mélodie est divisée en deux parties avec une reprise des quatre premières mesures (mes. 6 à 9).
Première partie
Un premier schème que j’ai appelé a’ commence cette variation. Je ne l’ai pas nommé a car il s’agit déjà à mon avis d’une imitation. Le schème initial prévu par Brahms était probablement identique à celui qui commence la sixième mesure, à la reprise du thème. Mais pour des raisons d’ordre mélodique, le compositeur a certainement supprimé la première croche au levé [5], en toute logique un si bémol que j’ai représenté entre parenthèses.
Dans cette variation, deux schèmes b succèdent au schème a’ initial. Il s’agit d’imitations en mouvement contraire rétrograde [6] de a. Un schème c et le schème a terminent cette première partie. Comme Beethoven, nous remarquerons que Brahms utilise également un minimum d’éléments thématiques. Cette recherche de l’unité est une constante chez les compositeurs.
Seconde partie
Brahms reprend la même succession de schèmes pour développer la variation de la seconde partie mais avec deux petites différences toutefois. C’est le schème a et non a’ qui est présent au début de cette seconde partie tandis qu’il ne figure plus à la dernière mesure, la mélodie étant reprise telle quelle.
La variation élaborée par Brahms est tout à la fois une nouvelle ligne construite à l’aide de schèmes ce qui lui confère déjà un intérêt mélodique et c’est aussi une mélodie qui fait référence au thème initial. On peut en effet le percevoir à l’écoute par ces quelques notes de référence comme s’il était légèrement voilé. Bref, tout l’art de la variation.
L’emploi du schème pour varier les mélodies est d’un usage courant en composition musicale mais cette variation de Brahms l’illustre de très belle manière.
Concerto pour violoncelle et orchestre
Cette pièce de Britten dédiée à Rostropovitch a été écrite en 1963 et créée l’année suivante. Il s’agit donc d’une œuvre relativement récente. Elle nous montre que Britten, avec un langage très moderne, est l’héritier d’une certaine tradition musicale. L’exemple que j’ai choisi est extrait du second mouvement du concerto, presto inquieto. Le violoncelle y joue la partie principale, écrite à deux voix. Il est accompagné par l’orchestre. Ce développement mélodique est réalisé avec plusieurs schèmes et leurs imitations.
Première partie
Trois premiers schèmes, a, b et c sont exposés alternativement aux deux voix. Ils sont suivis de leurs imitations. Le schème b’ est une imitation contraire de b. Les schèmes c’ et a’ sont respectivement des imitations par extension de c et de a. Cette première séquence prend fin avec trois schèmes plus courts : d, d et d’ à la voix supérieure. Ce dernier est une imitation par réduction de d. Ces trois petits schèmes génèrent un décalage rythmique qui donne l’impression d’un changement de pulsation.
Seconde partie
Cette partie est beaucoup plus brève. Elle est élaborée avec les schèmes b, a’ et un nouveau schème, e. Ils alternent aux deux voix mais dans une disposition différente de celle de la première partie. Cette séquence s’achève comme la première par un décalage rythmique dû aux schèmes d’, f nouveau schème et d. Mais cette fois ces trois schèmes sont placés à la voix inférieure.
Troisième partie
La dernière partie reprend les schèmes déjà utilisés. L’alternance des schèmes dans les voix y diffère une fois encore. Le décalage rythmique s’effectue avec deux schèmes f’, imitations par réduction de f et un schème d. Un nouveau schème, g apparaît aux deux voix dans ce passage. Il s’agit d’un schème d’accompagnement, la coda de la fin du développement étant dévolue à l’orchestre.
Dans ce passage qui exige une très grande virtuosité du violoncelliste, observons particulièrement le déroulement du grand rythme. La mélodie commence en effet dans le registre moyennement grave du violoncelle, en clé de fa et se développe en un long mouvement ascendant et tourbillonnant pour s’achever sur les notes très aiguës de l’instrument. La tension y progresse peu à peu pour devenir extrême à la fin du développement.
L’exemple issu de cette très belle œuvre de Britten, que je vous engage d’ailleurs à écouter intégralement en la suivant sur la partition d’orchestre, nous montre qu’une construction musicale peut s’effectuer à l’aide de schèmes même dans les langages musicaux de notre époque.
SOMMAIRE DU DOSSIER
Le schème, élément de développement en composition musicale(I)
Le schème, élément de développement en composition musicale(II)
[1] Il y a une ambiguïté harmonique dans l’exposition de ce thème. En effet, si l’indication do mineur n’était pas portée sur la partition, on l’analyserait comme étant écrit en mib majeur, relatif de do mineur. L’articulation serait alors I et Va. L’entrée du commentaire se ferait en do mineur lui donnant un caractère plus sombre. Cette ambiguïté était voulue à mon avis par le compositeur.
[2] Dans la première imitation, on considère qu’il s’agit toujours du schème a même si l’intervalle entre lab et sol est une seconde alors qu’il s’achevait par une tierce dans le schème initial. Cet intervalle peut être modifié à souhait. On l’appelle d’ailleurs l’intervalle libre du schème.
[3] L’intervalle d’imitation est donné par la succession des premières notes des schèmes. Il est utilisé pour construire les développements.
[4] L’imitation contraire consiste à reproduire les intervalles du schème en inversant leur direction : une seconde ascendante devient une seconde descendante. On ne tient pas compte ici de la qualité de l’intervalle (majeur, mineur..).
[5] Deux raisons sont possibles pour l’éventuelle suppression de cette note au levé par Brahms : la première serait la volonté de commencer la variation en accentuant rythmiquement le posé de la première note de la mélodie. La seconde serait le désir d’éviter la proximité de deux grands intervalles de quarte dans une même mesure qui rendrait cette mélodie trop difficile.
[6] L’imitation rétrograde consiste à reproduire un schème à partir de sa fin. Si le schème initial se termine par une seconde, l’imitation commencera par une seconde. En imitation contraire rétrograde, on applique les deux techniques à la fois.