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Le schème, élément de développement en composition musicale(I)

A partir d’exemples issus d’œuvres de Bach, Mozart, Beethoven, Brahms et Britten, je vous propose d’aborder avec cet article le développement du schème en composition musicale. Je laisserai donc de côté en principe la forme musicale et l’harmonie afin de porter principalement notre attention sur le schème. Les deux exemples par lesquels nous commençons sont tirés d’une Sonate pour violon seul de Bach et du Requiem de Mozart. Mais rappelons tout d’abord la définition du schème. lire l’article

Le schème est la plus petite cellule mélodico-rythmique que l’on peut rencontrer dans une pièce musicale . Souvent formé de quelques notes, il sert notamment à la construction des thèmes et des phrases musicales. A cet effet, il peut être développé sous forme d’imitations, ou même varié. Pour faciliter leur jonction, les schèmes commencent au levé et se terminent par une note au posé [1]. Celle-ci peut être positionnée à n’importe quelle hauteur car l’intervalle qui la précède est libre. Cela permet notamment de placer l’enchaînement harmonique de son choix à la jonction des schèmes.

Ces exemples, choisis parmi des chefs d’œuvres de la composition musicale, ne nous donnent qu’un faible aperçu des possibilités de développement offertes par le schème. Les exemples ne manquent pas car les grands compositeurs font preuve constante d’invention et de diversité.

Jean-Sébastien Bach :

sonate I du cycle des « Sonates et partitas » pour violon seul : presto.

Dans le langage de Bach, le schème est un élément de construction et de développement fondamental. Un schème ou deux lui suffisent parfois pour élaborer une pièce entière. Chacune de ses œuvres pourrait nous servir d’exemple pour cet article tant sont grandes la diversité des techniques qu’il déploie.

Du presto de cette sonate, j’ai extrait l’exposition du thème ainsi que les trois premiers commentaires.

Exposition

Un premier schème que j’ai appelé a est imité deux fois. Ces trois schèmes forment l’exposition du thème. Exclusivement formé d’intervalles disjoints, le schème a est à la fois affirmatif et tournoyant. Le choix des intervalles de jonction rend plus tournoyant encore le mouvement mélodique du thème.

Dans une mélodie formée de schèmes en imitation comme celle de ce thème, il faut porter une attention particulière à la première note des schèmes [2]. En effet, ces premières notes ont un rôle essentiel dans la construction mélodique de la phrase. Ici, ce sont les notes pivots de sol mineur [3]. Toutes les notes du thème sont d’ailleurs des notes pivot. La mélodie est donc formée d’affirmations adoucies en équilibre A [4]. Observons le grand ambitus de ce thème : du sib, première note au levé jusqu’au sol situé sous la portée, note la plus basse du violon.

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Sonate pour violon seul n°1 de J.S Bach (presto)
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Bach Sonate pour violon °1

1er commentaire

Le premier schème de ce commentaire, b est élaboré également avec les notes pivots du mode. On y observe le même caractère affirmatif mais sans l’aspect de tournoiement du schème a. Le choix de ces intervalles génère un ample mouvement mélodique ascendant. En un seul schème, la mélodie revient ainsi à son point de départ.

Le schème c qui lui succède est le premier schème dynamique de la pièce. Il ne comporte en effet que des intervalles conjoints. Ce premier commentaire consiste en imitations des deux schèmes b et c et donc en une alternance de mouvements ascendants affirmatifs et descendants dynamiques.

2ème commentaire

Ce second commentaire commence également par le schème b, suivi ici d’un nouveau schème en affirmations et tournoyant que nous appelons d. Ce schème d est imité deux fois dans ce commentaire. Les premières notes étant sol, fa et mib, on en conclut que le schème est imité à la seconde inférieure. Le choix de la seconde inférieure comme intervalle d’imitation [5] génère une mélodie tournoyante et légèrement descendante.

3ème commentaire

Encore un nouveau schème pour ce 3ème commentaire ! Ce schème e diffère des précédents. Il est à la fois dynamique et tournoyant mais surtout il comporte un grand intervalle très expressif, une sixte. Plus encore, celle-ci est suivie d’une quarte, dernier intervalle du schème. Le troisième commentaire est un développement en imitations à la quarte inférieure ou quinte supérieure du schème e.

Cette utilisation de deux grands intervalles à la suite, sixte et quarte est particulièrement intéressante car elle met en œuvre un procédé très souvent utilisé par Bach. Jusqu’à présent, le thème et les deux premiers commentaires ne comportaient qu’une seule ligne mélodique. Dans ce troisième commentaire, l’intervalle de sixte crée une césure mélodique, reproduite à chaque imitation, qui isole la partie dynamique du schème e de sa partie terminale en quarte descendante. Elle génère ainsi une division de la mélodie en deux lignes indépendantes.

Cette impression de polyphonie est clairement perceptible à l’écoute. Elle l’est d’autant plus que ces deux intervalles de sixte et de quarte sont cadentiels. Une cadence V7c I amène une nouvelle tonulation à la fin de chaque imitation [6]. L’intervalle d’imitation étant la quarte inférieure ou la quinte supérieure, les tonulations se font également à la quarte, de do Majeur à Mib majeur. On constatera que les intervalles constituant le schème e [7] sont les mêmes dans les imitations. On les appelle des imitations régulières. Elles étaient irrégulières dans le second commentaire.

Cette pièce est composée pour un instrument seul, le violon. Les schèmes peuvent donc y être expressifs à souhait et les mélodies contenir beaucoup de grands intervalles. Dans une pièce de ce type en effet, aucune contrainte de complémentarité n’est à observer avec d’éventuelles autres voix.

Wolgang Amadeus Mozart

Recordare du Requiem

Le Requiem de Mozart, qu’il a composé peu de temps avant de mourir, est une des œuvres les plus bouleversantes de l’histoire de la Musique. Mozart était en effet persuadé qu’il composait pour lui-même cette « Messe des morts ». Portés à leur plus haut sommet, les grands thèmes de sa musique y sont présents : la lumière et l’espérance, la joie et la beauté mais aussi la terreur et l’angoisse de l’homme avant de devoir bientôt quitter ce monde.

Voici la traduction du début du Recordare dont nous allons aborder quelques schèmes. Le texte est chanté par un chœur mixte à quatre voix.

"Souviens-toi, ô doux Jésus
 que je suis la cause de ta venue sur terre.
 Ne me pers donc pas ce jour-là."

Exposition

Avant l’entrée du chœur, le thème du Recordare est exposé aux cors de basset accompagnés par le violoncelle. Mais ce n’est pas le thème principal qui nous intéresse dans cet article mais les contre-schèmes [8] qui l’accompagnent. Ce sont eux en effet qui génèrent le climat du début de ce Recordare.

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Requiem de Mozart Recordare- exposition du thème
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Mozart Requiem expo

L’accompagnement du thème est formé de trois schèmes. [9].

Le schème a est entièrement dynamique. Il sera le plus utilisé dans la pièce. Le schème b est également dynamique mais plus expressif en raison de son grand intervalle de quarte [10]. Le schème c’est le plus expressif des trois. Il est développé dans le bref commentaire qui suit cette exposition du thème.

2ème commentaire

Passons directement au second commentaire, joué par l’ensemble à cordes seul. Celui-ci repose sur une pédale de dominante tenue par les violoncelles et les contrebasses. C’est principalement le schème a qui est développé ici. Il est repris puis imité à la seconde supérieure aux premiers violons. A la dernière imitation succède une variation de a, que j’ai appelée a’.

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Requiem de Mozart Recordare - 2ème commentaire
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Mozart Requiem commentaire

Les mêmes imitations sont reprises en canon aux seconds violons tandis qu’une variation du schème c, c’ contre-schème des schèmes a du canon est également imitée à la seconde supérieure.

Dans ce commentaire Mozart nous met en attente, et plus précisément dans l’espérance. Il nous prépare au chœur du premier verset, prière du mourant adressée à Jésus. La montée par paliers de secondes des schèmes a et du schème ascendant c’, génère peu à peu une tension que le la pédale de dominante dans les graves accentue par le contraste qu’elle génère. Le dessin mélodique dynamique descendant du schème a contraste également avec cette montée. Ces mouvements descendants démultipliés par le canon donnent un caractère un peu surnaturel à ce commentaire, accrue encore par la sonorité particulière de l’ensemble à cordes. Nous avons à la fois l’impression de monter vers la lumière et de recevoir cette source de lumière tombant vers nous.

Le long mouvement descendant dynamique qui met fin à ce commentaire, juste avant l’entrée du chœur, suggère une impression de chute à laquelle nous nous abandonnons en toute confiance.

Entrée du chœur

De cette entrée du chœur, je n’ai choisi que l’accompagnement de la voix la plus grave tenue par les violoncelles et les contrebasses afin de vous donner un exemple de mélodie de basse écrite par Mozart en contrepoint d’un chœur. A cet effet, il utilise les schèmes de l’exposition, a et b ainsi que a’’ qui est une imitation contraire de a.

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Requiem de Mozart Recordare - entrée du choeur
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Mozart Requiem choeur

Au prochain article, nous poursuivrons cette présentation du schème comme élément de développement avec des exemples pris dans des œuvres de Beethoven, Brahms et Britten.


SOMMAIRE DU DOSSIER
 Le schème, élément de développement en composition musicale(I)
 Le schème, élément de développement en composition musicale(II)


Notes

[1] On peut comparer la jonction des schèmes pour former une mélodie à l’accrochage des wagons d’un train. Le levé d’un schème est joint au posé de celui qui précède.

[2] Je rappelle que la première note du schème se situe au levé. Dans ce thème, ces notes sont donc sib, ré et sol .

[3] Bien qu’il n’y ait qu’un seul bémol à la clé, le début de la pièce est en sol mineur.

[4] Nous appelons équilibre A, l’équilibre mélodique et rythmique généré par les 3 notes pivots du mode

[5] Cet intervalle, dans notre exemple la seconde, s’appelle l’intervalle d’imitation

[6] note aux élèves attentifs :) la 7ème de l’accord V, dernière note au levé du schème e n’est pas résolue immédiatement. Sa résolution n’arrive qu’à la seconde note au levé à l’octave supérieure. on se rappellera que dans le langage de Bach, les 7èmes sont toujours résolues.

[7] On considère la succession des intervalles du schème. Dans le schème e : 2m, 2m, 2M, 6M, 4.

[8] Le contre-schème est également un schème. Il est complémentaire du schème principal qu’il met en valeur et accompagne généralement dans ses développements.

[9] Je devrais dire en fait trois contre-schèmes.

[10] Dans un schème d’exposition, un intervalle de quarte est déjà un grand intervalle. Les intervalles disjoints et plus encore les grands intervalles sont difficiles à utiliser dans une polyphonie si l’on veut obtenir des mélodies complémentaires.

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Jean-Luc KUCZYNSKI
Jean-Luc KUCZYNSKI est compositeur et professeur de composition musicale depuis 1988 aux ACM et depuis 1999 à l’école d’écriture et de composition Polyphonies.
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