La tierce picarde (MAJ)
"Qu’est-ce qu’une tierce picarde ? Comment est-elle employée en écriture classique ou baroque ?"
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Réponse : La tierce picarde est une majoration de la médiante de l’accord de tonique. De tierce mineure, elle devient ainsi une tierce majeure. Cet enchaînement est utilisé dans les cadences parfaites de fin de section (exposition ou fin de pièce). Ce sont surtout les compositeurs contemporains de Bach qui emploient cette formule de manière très particulière.
Ainsi par exemple dans une pièce qui commence en do mineur, après une tonulation en sol mineur, la première partie de la pièce s’achève par un enchaînement V-I de sol mineur. En employant une tierce picarde l’accord est majoré et l’on a sol-si-ré au lieu de sol-sib-ré. Or l’accord I sol-si-ré peut aussi être considéré comme V de do mineur. Et une barre de reprise après sol-si-ré nous renvoie au début de la pièce sur l’accord I de do mineur. C’est un emploi très courant de la tierce picarde (même chez les classiques).
Cf article dans le Mensuel dans lequel je parle un peu de tous ces enchaînements particuliers.
- Premier exemple : cours 49, coda de la fugue en ré mineur BWV 851 (J.S. BACH)
Voici une parfaite illustration de la "tierce picarde".
Ici, l’accord final I de ré majeur arrive juste après la coda cadence et l’on perçoit la tierce picarde. Mais Bach fait durer le plaisir en plaçant le schème a du sujet aux quatre voix.
Il y aurait plusieurs façons d’analyser cette mesure comme par exemple, l’emprunt à sol mineur. Mais la plus logique est de considérer que toute la mesure est sur l’accord majoré (non en ré majeur mais en ré mineur avec majoration de la médiante, définition même de la tierce picarde). on peut analyser mélodiquement tous les schèmes de cette mesure, les deux dernières note formant aux quatre voix, une double appogiature. C’est la plus logique à mon avis car cette polyphonie est générée par une superposition de mélodies et non une recherche d’articulation harmonique pour elle-même. En conclusion, et c’est propre à la tierce picarde, nous sommes en ré mineur avec la médiante majorée.
- Deuxième exemple : cours 47, coda de l’allemande en si mineur BWV 814 (J.S. BACH)
Autre illustration de la tierce picarde avec ce ré# à la fin de l’allemande de Bach. La coda-cadence précédente est clairement en si mineur :
Ici, ré # est la majoration de la médiante. A noter : le la bécarre permet de rester en si mineur (minoré) jusqu’à la fin, ce qui donne plus d’effet à la majoration de la tierce de l’accord final.
C’est probablement à la très riche musique franco-flamande du XIIIème au XVIème siècle que l’on doit cet enchainement appelé la "tierce picarde". Cette vaste région musicale, englobant la Picardie, l’Artois, les Flandres françaises et belges, l’Hainaut et la Wallonie, vit naître de nombreux troubadours comme Adam de la Halle, Conon de Béthune, Moniot d’Arras, Jean Bodel et de compositeurs de polyphonies comme Josquin DesPrès et Pascal de l’Estocar en Picardie, Gilles Binchois, Guillaume Dufay, Jean de Ockeghem, Jacob Obrecht ou Adrian Willaert.... la liste est longue.
On ne sait lequel de ces compositeurs est l’inventeur de la tierce picarde mais il figure certainement dans cette liste. Josquin Desprès étant l’un des plus fameux compositeurs de cette période, picard de surcroît, il ne serait pas étonnant qu’il en soit à l’origine.
Il y a aussi des tierces picardes dans les danses pour piano de Granados... il est vrai que les nouveautés du langage musical ont toujours traversé rapidement les frontières européennes. Il n’est pas étonnant de retrouver cet enchaînement en Espagne, d’autant plus que les Flandres ont longtemps été sous domination espagnole.
article publié le vendredi 21 janvier 2011 et lu 15613 fois.
Jean-Luc KUCZYNSKI est compositeur et professeur de composition musicale depuis 1988 aux ACM et depuis 1999 à l’école d’écriture et de composition Polyphonies.
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