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Compositeurs de cinéma : 4ème partie

IV) Musique/Image : l’union libre.

Ce dernier volet de notre dossier propose un rapide tour d’horizon des différents emplois de la musique au cinéma. Evidemment, le sujet ne sera pas épuisé içi ! Le propos n’est pas d’en faire une analyse ; il s’agit plutôt d’un compte-rendu (non exhaustif !) des principales opinions et expériences sur le sujet. Lire l’article


SOMMAIRE :

Compositeurs de cinéma : 1ère partie : (L’enfance de l’art)

Compositeurs de cinéma : 2ème partie (Mais comment comment font-ils ? Compétences et savoirs-faire)

Compositeurs de cinéma : 3ème partie (Les réalités du métier : en avant toute, et vogue la galère !...)

Compositeurs de cinéma : 4ème partie (Musique et Image : l’union libre)


Les relations musique-image (filmique) sont consommées... à toutes les sauces par la production cinématographique. Il y en a pour tous les goûts : on peut passer du « mickey-mousing » (musique tellement descriptive de l’action qu’elle en devient un pléonasme) à l’interdit absolu de référence sonores rapelant une caractéristique (ethnique, folklorique...) de l’image. Si la musique de film peut se réduire à une simple série d’arrangements autour d’un thème unitaire, ou un amalgame d’airs destinés à renforcer l’idée sonore que l’on se fait du genre présenté à l’écran, elle peut tout aussi bien se développer en contre-emploi musical, ayant alors une fonction de révélateur profond du désir des auteurs...

Rapide tour d’horizon : quand la relation musique-image est...fusionnelle :

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Wajda/Prodomidès « Danton » (1982)

JEAN PRODROMIDES : Illustration parfaite du règne de la terreur durant cette année noire de la Révolution Française de 1793, ’Danton’ est une oeuvre orchestrale qui ne peut de toute évidence pas être apprécié par tous, une musique entièrement atonale qui nécessite tout d’abord une certaine compréhension de ce langage musical et des oreilles parfaitement initiées à ce style de musique. Véritable hommage aux compositions expérimentales des musiciens polonais de la deuxième moitié du 20ème siècle, ’Danton’ est une oeuvre forte, preuve qu’un musicien a la possibilité d’expérimenter sur son matériau orchestral afin de créer une pensée musicale parfaitement cohérente et unifiée tout en respectant l’atmosphère et l’esprit d’un film. En parfaite symbiose avec le film, la musique de Prodromidès incite la peur, la tension, l’angoisse, la terreur. Le sentiment de malaise est très fort tout au long du film et la musique reste pesante et particulièrement intense du début jusqu’à la fin. Maître de son matériau orchestre/choral, Prodromidès signe là une partition atonale d’une qualité rare, engagée et cohérente. Sans conteste une oeuvre passionnante, à découvrir pour tout ceux qui s’intéressent comme moi à ce type de musique expérimentale/atonale.

...inoubliable :

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Robbins &Wise/Berstein « West side story » (1961)

LEONARD BERSTEIN : La gloire et la reconnaissance populaire viennent enfin en 1957 quand il compose l’intemporelle musique de la comédie musicale West Side Story. Le film de 1961, réalisé par Jerome Robbins et Robert Wise, est un immense succès mondial et fait connaître Bernstein, d’autant plus qu’il reçoit l’Oscar de la meilleure musique. La bande originale du film fut décriée par les critiques de musique savante : trop simplette, trop larmoyante... Mais la formidable puissance émotionnelle insufflée par la musique de Bernstein à cet hymne à la tolérance et à l’amour qu’est West Side Story est évidente. C’est une musique accessible à tous, chargées de sensations. Qui n’a pas été ému en entendant « Maria », ou « Somewhere » ? Qui n’a pas ressenti une irrésistible envie de danser sur l’air d’« America » ? Qui ne s’est pas senti porté par la formidable énergie du prologue du film ? West Side Story reste l’œuvre la plus connue de son auteur, que la postérité retiendra plus que n’importe laquelle de ses directions d’orchestres.

...conflictuelle :

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Bourdieu/Hetzel « Les amitiés maléfiques » (2006)

GREGOIRE HETZEL : « ça a été ma collaboration la plus difficile ! A cause de la difficulté de composer une musique pour un film qui est à la fois romanesque et tout en retenue, très écrit, mais avec des rouages psychologiques implicites, sournois, et ma musique avait du mal à s’immiscer dans ces rouages, qui passent par une perversité du langage et des situations. Les personnages sont lettrés, romantiques, et oscillent entre pédanterie et fragilité, innocence et cruauté, fascination et libération retrouvée. Mais tout est sur un fil, rien n’est donné, rien n’est grossièrement dessiné. Du coup, la première solution était de rester neutre, de mettre de la musique anglo-saxonne, de jeunes, puisqu’ils sont jeunes. De plus, Emmanuel, en écrivant le scénario, écoutait beaucoup Radiohead. Il m’a dit aussi qu’il voulait de la musique partout. J’ai alors « time-scoré », comme on dit, tout le film, ai joué le rôle de directeur musical, en rameutant tous mes copains pour avoir un pannel de voix et de styles de chansons. Ma musique, elle, venait, s’immisçait, voire se superposait - cet effet est d’une belle puissance dramatique - aux chansons. Dans tous les lieux, bars, restos, taxis, appartements, il y avait de la pop, ou du jazz. Au moins trente morceaux. Je me suis servi d’une réalité : nous baignons malgré nous constamment dans un flot de musiques pulsées. Quant à ma musique, il y en avait beaucoup plus. En plus du prélude et fugue dont je vous ai déjà parlé, j’avais pas mal théâtralisé certaines scènes - et en particulier, toute la dernière partie, qui met en scène la chute progressive du « méchant » - par un thème de cordes en pizz et coups d’archets très rythmique, quasi atonal. Nous avions baptisé ce thème « Ligetok », parce que nous le trouvions d’inspiration Bartoko-Ligetienne ! Emmanuel aimait beaucoup ce thème. Puis est arrivé le montage son. Et il a eu peur que son film devienne trop théâtral, et trop « branchouille » avec toutes ces chansons anglo-saxonnes. Tout ce travail, qui m’a pris des jours et des jours, a été balayé ! Mais c’est normal. C’est le jeu. »

...œdipienne :

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Frears/Desplat : "The Queen" (2006)

ALEXANDRE DESPLAT : « Beaucoup de réalisateurs n’utilisent pas de musique (Bresson, Rohmer, parfois David Mamet). Il m’est arrivé souvent d’inviter un réalisateur à réduire le temps de musique d’un film dont j’écrivais la partition. Parfois, dialogues ou sons réels sont plus forts sans musique. Les entrées et sorties des pièces musicales créent un rythme qui doit être en harmonie avec celui du film. Lorsqu’on voit un film pour la première fois, on perçoit ses faiblesses si il y en a, et le compositeur peut rétablir un équilibre tel un dernier scénariste et redonner ici et là du rythme, de la profondeur de champ élargie à l’image en hauteur ou en largeur.
Pour moi, la musique de film est l’objet transitionnel, le "doudou", qui nous relie au film une fois le générique de fin terminé. Cela devient donc une oeuvre musicale seule et unique. Il incombe au compositeur de tenter par tous les moyens de créer une pièce musicale qui se tienne. Musique de film égale musique - de film. L’histoire du cinéma a prouvé que des oeuvres musicales composées pour l’image pouvaient survivre en solitaire : Chostakovitch, Prokofiev, Bernard Hermann, Nino Rota ont écrit des musiques qui libérées de l’image sont magnifiques. C’est le coeur de cible que chaque compositeur qu’on dit de films devrait garder en ligne de mire. C’est difficile, douloureux mais c’est possible. »

...aventureuse :

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Vigo/Jaubert « L’Atalante » (1934)

MAURICE JAUBERT : A l’inverse d’une pratique où le compositeur travaille dans l’ignorance des autres composants sonores du film, dialogues, ambiances et bruits, Jaubert prend précisément appui sur le son réel du film pour construire ses interventions. Au début de L’Atalante de Jean Vigo, le cortège nuptial s’arrête devant la péniche, les mariés embarquent et le bateau glisse lentement le long de la berge. La musique naît, presqu’imperceptiblement, calquant son rythme sur le halètement du moteur. Dans le glissement du son non musical au son musical, s’épanouit au saxophone solo le thème d’amour. « C’est précisément le rôle du musicien de film, dit Jaubert, de sentir le moment précis où l’image abandonne sa réalité profonde et sollicite le prolongement poétique de la musique. » Plus tard, dans sa cabine bric-à-brac, le père Jules, le second de l’Atalante, passe le doigt sur les sillons d’un disque. La musique jaillit. Il s’arrête, la musique s’interrompt. Il repasse le doigt, la musique réapparaît. Il s’arrête à nouveau, la musique s’éteint. Il recommence, mais quand il écarte son doigt du disque, la musique se poursuit : c’est le mousse qui, hors champ, joue de l’accordéon. Deux preuves, entre tant d’autres, d’une compréhension du cinéma qui conduisit Jaubert à une économie rigoureuse du minutage musical dans les films, et vers une démarche extrême que le destin ne lui permit pas d’approfondir : libérer la musique de film de l’expressivité mélodique pour lui confier un rôle essentiellement rythmique et sensoriel : exprimer le temps.

... hors mariage :

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Scorcese/Hermann : « Taxi Driver » (1975)

BERNARD HERRMANN : Pour Taxi Driver, Scorsese ne souhaitait pas de musique pop ou rock de 1975 dans son film, mais une partition jazz et classique pour faire un pont avec un cinéma passé (ce sera aussi le cas avec "Cape Fear", 1991) et avec une époque passée (ce passé peu glorieux et occulté par le personnage principal du film). Scorsese joue des anachronismes comme autant de décalages, de marges, de "double-fonds" et de hors-champs révélateurs de la psychologie des personnages et du rythme intrinsèque du film.
Scorcese : "Trop souvent, on n’utilise la musique que pour définir une tonalité générale ou pour situer historiquement un film - en d’autres termes, on la réduit à de la décoration. Personnellement, je n’y ai jamais pensé de cette façon. Dans "Mean Streets" (1973), par exemple, la musique est plus ancienne que la période du film, car c’est celle que les personnages préfèrent : donc, au lieu d’écouter les tubes de 1973, ils se délectent de Johnny Ace ou des Ronettes."

...passionnelle :

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Spielberg/Williams « les dents de la mer » (1975)

JOHN WILLIAMS : Printemps 1975. John Williams est dans son bungalow dans le complexe des Studios Universal, il commence à écrire au piano la partition d’un film d’épouvante conçu par un cinéaste de 28 ans encore peu connu, Steven Spielberg. Celui-ci arrive dans le bungalow du compositeur et écoute Williams, qui est pianiste de formation, lui interpréter le désormais mythique "motif du requin" (basé sur un crescendo de 2 notes répétées à l’infini). Après quelques mesures, John Williams se tourne vers le jeune Spielberg et voit celui-ci faisant de son mieux pour ne pas éclater de rire tant le thème musical lui paraissait absurde. Williams sourit avec malice et assure le jeune homme qu’il parviendra à rendre ce "thème" crédible et efficace. Quelques semaines plus tard, Spielberg assiste aux séances d’enregistrement de la partition et est littéralement abasourdi. Il est à ce point impressionné qu’il appelle son ami George sur le champ en lui disant qu’il venait de trouver le compositeur idéal pour son petit film de science-fiction "Star Wars". Spielberg, surexcité, dit que Williams a composé pour Jaws la meilleure musique de film jamais composée pour un film et lui fait écouter la partition à travers le combiné. La musique, atonale (pas de mélodie à proprement parler), rend bien l’aspect singulier du premier plan (qui décrit des plantes sous-marines) et qui ressemble, dans une certaine mesure, à un "paysage intérieur" (au "ça"), où les algues tourmentées par le courant annoncent un dérèglement, un danger latent. La partition mystérieuse de Williams accentue (et commente même) ce premier plan de manière obsédante. Ce motif est construit sur une répétition presque à l’infini de deux notes identiques et sur un rythme binaire qui alterne tension puis relâchement, comme une respiration (évoquant celle du spectateur, cela va sans dire) ou des battements de coeur (c’est en fait un empreint musical au Sacre du Printemps de Stravinsky qui démarre sur ces mêmes mesures). Ce procédé n’est pas nouveau au cinéma puisque Herrmann s’en est servi tout le long de sa carrière (nous pensons à ses partitions pour "Psycho", "La mort aux trousses", et même "Taxi Driver", son ultime partition. Williams n’invente donc rien ici mais pousse la trouvaille rythmique à son comble et la rend, sans doute, plus efficace que jamais.

...pour le meilleur :

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Leone/Morricone « Il était une fois dans l’Ouest » (1969)

ERNIO MORRICONE : Dans "C’era una volta il West", (Il était une fois dans l’Ouest) Morricone rend un poignant hommage à l’Ouest américain sublimé à travers la caméra de Sergio Leone, musique et image ne faisant qu’un dans une symbiose parfaite, sans faute. Jouant à la fois sur les codes musicaux des westerns qu’il avait lui-même instauré dans ses partitions précédentes, Morricone dépasse le simple cadre des cow-boys et des duels au pistolet en nous offrant un véritable souffle émotionnel porté par une sensibilité exacerbée, une forme de spiritualité profonde et poignante qui apporte au film une dimension humaine étonnante (en tout cas très loin de tout ce que les compositeurs américains avaient l’habitude de faire pour les westerns hollywoodiens de cette époque !). Construit sous une forme quasi opératique, la musique de Morricone associe des leitmotive aux principaux protagonistes du film, à commencer par le célèbre thème de "l’homme à l’harmonica", fameux motif de trois notes que le personnage de Charles Bronson joue tout au long du film sur son instrument comme une sorte de signature musicale personnifiant le héros. La musique fait même partie intégrante du récit puisque c’est par l’air que joue le héros qu’on le reconnaît dans le film avant même de l’avoir vu (cf. scène de la taverne lors de la rencontre entre Harmonica et Cheyenne), la musique devant un protagoniste à part entière dans le film.

...et pour le pire :

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Berlinger/Burwell « Blair Witch » (2006)

CARTER BURWELL : "Je pense que le film aurait été meilleur avec moins de musique mais le réalisateur et les producteurs souhaitaient créer un impact qu’ils ne pensaient obtenir que par le biais de cette dernière. D’une manière générale, les guitares furent ajoutées en dernier lieu. Elles sont liées aux plans rapides du carnage. Ces plans ont été rajoutés vers la toute fin du tournage, surtout pour choquer. Il s’agissait avant tout d’une tentative gratuite pour obtenir une réponse du public, ce qui , à mon avis, n’était qu’une forme de condescendance à laquelle on m’a demandé de participer...

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LIENS UTILES :

 Article de François Porcile sur les rapports musique/image (Résonance n° 5, septembre 1993. IRCAM)

 Les cent musiques de films incontournables

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LIENS UTILISES :

 JEAN PRODROMODES :

http://www.cinezik.org/

 LEONARD BERSTEIN :

http://www.cinezik.org/

 GREGOIRE HETZEL :

http://www.cinezik.org/

 ALEXANDRE DESPLAT :

http://www.sacem.fr/

 MAURICE JAUBERT :

http://mediatheque.ircam.fr/

 JOHN WILLIAMS :

http://www.lumiere.org/

 ERNIO MORRICONE :

http://www.cinezik.org/

 CARTER BURWELL :

http://www.traxzone.com/

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SOMMAIRE :

Compositeurs de cinéma : 1ère partie : (L’enfance de l’art)

Compositeurs de cinéma : 2ème partie (Mais comment comment font-ils ? Compétences et savoirs-faire)

Compositeurs de cinéma : 3ème partie (Les réalités du métier : en avant toute, et vogue la galère !...)

Compositeurs de cinéma : 4ème partie (Musique et Image : l’union libre)

    Joëlle KUCZYNSKI
    Responsable administration de l’école à distance POLYPHONIES. Conception et réalisation des supports formation. Responsable rédaction du Mensuel. Chanteuse.
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